Thibault T. 21/12/2022

Le sport, une bataille de regards

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Thibault rêve de devenir volleyeur pro, ce qui lui impose d’être scruté en permanence. L'attention qu'on lui porte fait monter la pression.

Pour moi, le regard des autres, c’est super important, notamment dans le sport. Depuis mes 9 ans, je suis volleyeur. Petit à petit j’ai gravi les échelons. J’évolue actuellement au niveau National 3, c’est relativement élevé pour une personne de 16 ans. Je suis au Pôle espoir, une structure régionale qui regroupe une partie des meilleurs potentiels de France.

Ce qui me plaît dans le volley c’est le jeu collectif, s’entraider, mais aussi la sensation du ballon, réussir à le maîtriser. Ce sport me porte. J’ai des ambitions, notamment de pouvoir accéder au monde professionnel. C’est un projet à long terme, mais aussi un rêve de gosse. À 9 ans, je voulais déjà devenir sportif professionnel.

Avec le temps qui passe, cet objectif se rapproche de plus un plus… Et le regard que l’on porte sur moi est primordial. Alors bien sûr, je le perçois de manière différente en fonction des gens, de leur statut. Il y a quatre catégories de personnes : mes coachs, les proches, le personnel du club (dirigeant, autres joueurs…) et les supporters.

Quatre regards qui comptent pour moi

Le regard des coachs, c’est le plus important. Si je joue, c’est qu’ils me font confiance, et je me dois de ne pas les décevoir. Il faut être toujours à fond afin qu’ils voient mon implication et me permettent de rejouer. Je n’en ai pas connu énormément, mais ma toute première coach, qui m’a suivi pendant trois ou quatre ans, m’a beaucoup marqué. Elle a eu sur moi un regard très bienveillant, m’accordant sa confiance au fil des saisons. Elle m’a apporté par ses conseils techniques et tactiques, m’a transmis sa passion, son esprit de compétition ainsi que son dévouement. Grâce à elle, j’ai acquis des bases solides qui font qu’aujourd’hui je peux viser plus loin.

Cette année, j’ai changé de club, de Clermont-l’Hérault à l’Arago de Sète où le niveau est meilleur. J’ai un nouveau coach que je considère différemment, vu que je le connais moins bien. J’ai plus d’appréhension face à son regard. Il est plus ambitieux, car il est là pour nous propulser vers le haut niveau. Il a donc énormément d’attentes, et maintient une pression permanente. Même si cela se passe bien, il me pousse dans mes retranchements pour que je donne le maximum. C’est très dur, il ne faut jamais rien lâcher.

La famille, ça motive

Le regard de ma famille est aussi essentiel. Mon père a évolué en pro A, le championnat de France. Il a aussi fait partie des équipes de France jeunes. Il a toujours été un modèle pour moi, même si je ne l’ai jamais vu jouer. Mon tonton et ma mère ont aussi été volleyeurs, à des niveaux plus bas.

Il n’est jamais facile de jouer devant eux, j’ai la sensation qu’ils m’observent avec beaucoup de fierté et de plaisir car ils me voient m’améliorer. Je ne suis encore qu’un ado et j’ai envie que mes parents soient fiers de moi. Cela me motive pour continuer à progresser, d’être à la hauteur de leur regard. Même s’ils ne m’en parlent pas, j’imagine qu’ils ont d’énormes attentes à mon sujet. J’ai envie qu’ils me voient heureux et épanoui, en pleine réussite.

Le sport, c’est aussi des sacrifices, j’en ai beaucoup fait ces dernières années : quitter la maison pour aller en internat pendant la semaine, écourter mes vacances pour lancer une saison… Ils comprennent totalement. Je me dois de leur faire honneur pour qu’ils continuent de me soutenir dans mon envie de réussir. Après tout, c’est eux qui financent tout ça ! Et puis je n’ai pas envie de me faire critiquer en rentrant à la maison. Les remarques d’un proche connaissant le sport sont les bienvenues, car mes parents ne sont jamais méchants, mais je peux parfois mal les vivre.

Les dirigeants, plus exigeants

Le club et ses dirigeants, il n’est jamais facile de jouer devant eux. On se sent observé différemment : ce sont eux qui nous permettent de jouer dans leur équipe. Ils comptent sur nous pour rapporter de bons résultats. Ce sont les dirigeants qui ont le pouvoir d’offrir un contrat aux jeunes. Ils peuvent aussi nous mettre en relation avec les autres clubs quand un départ est envisagé pour avoir plus de temps de jeu, ou une meilleure progression.

L’équipe première de l’Arago de Sète que j’ai rejoint évolue en pro A masculine et en coupe d’Europe. Les dirigeants espèrent donc une grande progression des jeunes afin qu’ils puissent intégrer l’effectif professionnel. C’est d’ailleurs un des objectifs que je me suis fixés. Mais pour espérer faire partie de ce groupe, il faut faire de belles prestations en match comme à l’entraînement. Montrer ses capacités et son implication.

Les dirigeants ont donc un regard exigeant. Ils attendent qu’on leur inspire confiance, sérieux et sérénité. Cela suscite une grande pression. Tout ce qu’on peut faire peut influencer leur opinion sur nous, et donc peut-être notre avenir. Cela rend l’environnement super stressant, avec une pression toujours plus forte. Toutefois ça ne gâche pas le plaisir que j’ai de pratiquer ce sport !

Supporters impitoyables

Le dernier regard, c’est celui des supporters, qu’ils soient pour ou contre nous. C’est celui qui a le pouvoir de tout changer lors d’un match. Autant sur l’aspect collectif, en motivant l’équipe, que sur moi-même en me donnant davantage confiance en moi.

Arriver dans une salle remplie qui chante pour nous, c’est une sensation unique. On a envie de rendre les gens fiers et leur montrer qu’ils ne sont pas là pour rien, leur offrir du spectacle. Avec les moins de 18 ans en Coupe de France, la compétition la plus prestigieuse chez les jeunes, nous avons réalisé l’exploit de nous qualifier parmi les 46 meilleurs clubs. Lors d’un tour, après une défaite, nous avons dit au public que l’on se sentait délaissés. Lors du second match, le public fut en folie, ils chantaient, ils nous motivaient, nous poussaient à nous dépasser. Cela nous a permis de nous déchaîner, on était totalement libérés. Nous avons fini par gagner. Nous nous sentions vus comme des héros.

Il y a aussi un inconvénient : ils peuvent t’adorer puis te détester. Il suffit d’enchaîner deux ou trois mauvaises prestations pour qu’ils te critiquent. Encourager, c’est facile, siffler ça l’est encore plus ! L’année précédente, en pré national, j’avais le droit à des méchantes réflexions sur ce que je faisais de bien ou mal. Pas vraiment de remarques blessantes, mais on se sent vite rejeté. J’étais le joueur le plus jeune de l’équipe, donc à leur sens pas légitime pour être sur le terrain. Je n’arrivais pas à sortir la tête de l’eau et je n’avais pas non plus la confiance des autres joueurs sur le terrain. Ces remarques ne m’ont jamais vraiment découragé, cependant, on ne se sent jamais à l’aise quand on se sait critiqué lorsque l’on joue. À force, cela a affecté ma confiance en moi, et m’a coûté ma place, je l’ai mal vécu.

Dur d’avoir mon propre regard

Je vais souvent voir des matchs professionnels. Je suis un supporter qui n’hésite pas à donner de la voix pour mon équipe ! J’avoue, il peut m’arriver de porter des critiques sur les joueurs. Ça peut paraître bizarre vu ce que je viens d’expliquer, mais pour moi, les pros sont forcément sujets aux critiques. Après bien entendu, je n’ai jamais manqué de respect à un joueur. Ils sont meilleurs que moi, après tout !

J’ai un bon regard sur moi-même. Cela ne veut pas dire que je me considère comme un très bon joueur, mais je sais voir mes points forts. En tant que sportif, la performance prime, alors mon regard dépend fortement du résultat. Il est difficile de se convaincre que l’on a fait un bon match si l’équipe perd.

On a peur de penser des choses irréelles, de s’imaginer ce que pensent les autres. Je n’ai pas une grande confiance en moi, je me focalise donc beaucoup sur l’avis des autres. J’ai du mal à me faire mon propre avis, je me persuade de ce que les gens pensent et disent de moi. C’est dur, mais je ne fais pas exprès.

Thibault, 16 ans, lycéen, Montpellier

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