Adèle J. 21/04/2022

Privée de sommeil dans mon appart aux cloisons de papier

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Dans son premier appartement, Adèle voit son sommeil perturbé par les bruits incessants des voisins et de la rue.

Alors qu’à Angers, certains deviennent dépendants à l’alcool, d’autres aux drogues ou encore au sexe, mon sommeil et moi sommes devenus dépendants aux boules Quiès.

À 18 ans, j’obtiens mon bac scientifique. Et je rends fiers mes parents qui acceptent alors que j’aille étudier la psychologie loin de ma campagne, de mon foyer et de mes amis. Dans cette nouvelle aventure, tous mes sens sont en éveil pour pouvoir profiter pleinement de toutes ces nouveautés et de cette autonomie qui me sont offertes. Un moment, l’excitation retombe inévitablement et la tranquillité quotidienne de ma vie semble se rétablir. Malgré cela, toutes les nuits, un de mes sens se sent agressé.

Comment retrouver le sommeil ?

Jusque-là, il était habitué aux hululements des chouettes, aux averses bretonnes, aux ronflements occasionnels familiaux et aux vrombissements agréables des rares voitures roulant dans le pâté de maisons. Il est maintenant attaqué par le bruit des camions-poubelles. Par les chants aux consonances alcooliques venant de la place du Ralliement. Ou encore les différentes occupations des voisins, distinguables à travers mes cloisons de papier.

Parfois, j’ai l’impression de devenir folle. J’en veux à la terre entière de me faire subir ça. Je compte les heures qu’il me reste à dormir, à la minute près, avant que mon réveil sonne. Je pense énormément, trop. Je me questionne sur comment je pourrais calmer ce cœur qui bat. Ces pensées qui s’affolent. Et quel stratagème je pourrais mettre en place, à 3 heures du matin, pour que cette lumière dénaturée n’entre plus dans ma chambre, mon espace. J’ai l’impression de ne plus être dans mon intimité. Je commence à détester ce qui faisait pourtant le charme de cet appartement, son ancienneté. J’ai l’impression de subir tous ces bruits, et cela je ne l’ai pas décidé.

Pas le choix, je dois rester

Ce que je pourrais décider, en revanche, c’est de déménager. Mais comment expliquer à mes parents que, après avoir payé plusieurs frais et essuyé tant de refus pour trouver (enfin) cet appartement, nous devons reprendre les recherches pour ma simple tranquillité ? Je réalise que je peux bien tenir bon pour eux. Pour leurs vacances, leurs envies et projets qu’ils sacrifient pour moi en payant mon école privée. Qu’après les avoir convaincus de partir de chez moi, il m’est impossible de leur demander de quitter cette vieille bâtisse.

Malgré ma volonté, ces heures de sommeil perdues m’obsèdent. Elles ne quittent plus mes pensées, même la journée. Je commence à craindre la nuit qui tombe et je répète en boucle à mes amis mon angoisse face à l’enfer qui m’attend le soir venu. Parfois, quand le supplice devient insoutenable, je m’accorde un moment de répit le temps d’une matinée. Tout en culpabilisant de sécher mes heures de cours pourtant chères payées.

Boules Quiès et sophrologie

Un week-end, quelques mois après mon emménagement, je rentre chez moi. Bercée par ma nature retrouvée, je reprends possession de mes moyens. J’en parle à mes parents, tout en minimisant la situation pour ne pas les inquiéter. Encore une fois, ils se démènent pour m’aider, me rassurer et me conseiller. Ma maman m’achète alors un livre sur la sophrologie et mon père des boules Quiès, chacun sa méthode.

Je m’empare de mes nouvelles armes et, grâce à mes parents, je me sens prête à reprendre ce qui m’est dû : mon sommeil. Mon bien-être, ma tranquillité et ma liberté de faire une grasse matinée. Je retrouve alors un semblant de sommeil, qui s’améliore même au fil des nuits. Mes heures d’absence s’amenuisent et mes pensées ne se dirigent plus automatiquement vers cette angoisse.

Cette tranquillité à un prix, celui de la dépendance. Depuis cet événement, je ne peux plus me séparer de cet objet, symbolisant pour moi une intimité retrouvée. Avec ce bouclier, je ne me sens plus vulnérable. Comme si ces insomnies et ces heures perdues ne pouvaient plus m’atteindre. J’ai l’impression de m’être reconstruit mon propre espace. La sophrologie, elle, se fait plus rare, mais est souvent la bienvenue lors de périodes plus stressantes.

Cette période a laissé des traces sur mon sommeil

Aujourd’hui, j’ai retrouvé ce sommeil mais je sens qu’il ne tient pas à grand-chose. Au final, cette anxiété qui a impacté mon sommeil existait avant mes insomnies. Ce changement d’environnement brutal, auquel je ne m’étais pas préparée, ne me permettait pas de me sentir chez moi, dans mon propre espace car ce n’est pas ce à quoi j’étais habituée.

Maintenant, malgré une tranquillité retrouvée, cette période a laissé des traces : des TOC agaçants dont je peine à me débarrasser. Je dois respecter le quota de huit heures de sommeil pour me « laisser du temps » au cas où une nouvelle insomnie arrive, éviter les écrans pour faciliter mon endormissement, manger assez tôt pour ne pas être dérangée, ne plus dormir avec d’autres personnes pour ne pas avoir peur d’être la seule à ne pas dormir… J’anticipe toujours le moment où je dois aller dormir et je dois me créer une espèce de bulle réconfortante pour être sûre de ne pas revivre ça une seconde fois.

Adèle, 22 ans, étudiante, Angers

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