Lucie M. 26/10/2022

J’ai réappris à sortir quand tout le monde était confiné

tags :

Lors du premier confinement, Lucie était enfermée chez elle. En arrêt pour dépression, elle n'a pas vécu cette période comme sa famille.

Il y a deux ans, alors que des millions de personnes assistaient à l’annonce historique du premier confinement, je n’étais pas en mesure de m’y intéresser. Pendant que chacun s’enfermait chez soi, je recommençais à sortir.

À l’époque, je quittais ma chambre qu’une heure par semaine. J’allais consulter ma psychiatre. Elle m’avait mise en arrêt maladie pour dépression. J’étais devenue incapable de sortir de chez moi, de ma chambre, ou même de mon lit. Les journées se confondaient, le temps était infini et, en même temps, tellement court. Je ne mangeais plus et c’est à peine si je buvais. Je ne me nourrissais que d’idées noires et d’antidépresseurs.

Être restée enfermée durant un certain temps a provoqué chez moi la peur de sortir à nouveau, de croiser le regard des gens. Avant le confinement et avant d’aller à la clinique, j’avais pourtant essayé de sortir de mon lit. Mais il était trop tard, j’étais terrorisée. J’avais l’impression que tous les regards allaient se retourner sur moi, comme si la folie se lisait sur mon visage. Alors, forcément, demander à la majorité de la population de rester chez elle était une sacrée aubaine.

Mes moments d’évasion privilégiés

J’ai commencé à aller en hôpital de jour, quatre fois par semaine, dans une clinique psychothérapeutique. Mon frère et ma mère vivaient le début d’un confinement, comme beaucoup de personnes dans le monde, dans la peur et l’inconnu. Moi, j’étais dans une autre réalité. Le Covid ? C’était un détail sans importance. Ça ne m’intéressait pas de me plier aux recommandations pour faire face à la pandémie. Ma mère voulait que je me déshabille dès que je passais le portail. Mais je trouvais ça absurde. Je m’y suis fermement opposée, en dépit de la bonne entente au sein de la maison. J’étais devenue la personne égoïste qui mettait les autres en danger parce que j’allais dehors.

Lors de mes « sorties », un véhicule ambulancier venait me chercher et m’emmenait à la clinique. C’était mon moment d’évasion. Le monde était sur pause et moi j’avais l’impression de voyager. Chaque jour que je longeais le littoral de la Réunion et ses multiples paysages. Je remontais la côte ouest le long de l’océan Indien, je pouvais apercevoir les plages depuis la hauteur de la route. À ma gauche, l’infinité de l’océan et, à ma droite, la montagne, la forêt, l’immensité des ravines, puis la savane et enfin la ville. Au retour, lorsque j’avais de la chance, mon conducteur me proposait de passer par le chemin qui bordait l’océan par le bas, le long des falaises et des plages.

Enfermée, mais pas confinée

À la clinique, j’ai réappris à être dehors, à avoir des interactions sociales autres qu’avec mon frère et ma mère, à aimer faire des choses. J’ai appris à comprendre les émotions qui me traversaient et à trouver des façons de gérer mes angoisses. Dessiner, faire du sport, extérioriser : me sentir bien.

Il n’empêche que je n’ai pas vécu de confinement. Aujourd’hui, quand des gens abordent le sujet, se remémorent ce qu’ils ont vécu, je m’efface, me tais. Je ne parle pas, car j’imagine déjà les réactions : « OH LA CHANCE ! » Je ne sais pas si je me sens coupable, presque illégitime par rapport à cette liberté dont j’ai bénéficié, ou si c’est un sentiment de malaise par rapport au décalage que j’ai avec toutes ces personnes.

J’essaie de m’imaginer à leur place. Impossible. J’ai été enfermée. Certes. Mais on ne m’y a pas obligée. Je m’y suis obligée, mon cerveau, mon mal-être, ma maladie. Je n’ai pas vécu ce moment collectif d’enfermement qui, paradoxalement, rapproche les gens parce qu’ils se comprennent. Pourtant, ils ne peuvent pas imaginer ce que j’ai pu vivre.

Lucie, 21 ans, volontaire en service civique, Lyon

Partager

Commenter