Réduite au silence dans ma famille d’accueil
J’ai grandi en famille d’accueil. Quand la mère et son fils partaient en vacances, j’étais toute seule avec les autres enfants placés. Elle partait une semaine ou parfois le week-end. Elle me laissait m’occuper d’eux. Le matin, ils se levaient tout seul pour aller déjeuner, à midi je faisais à manger, le soir aussi. Elle faisait peu de courses avant de partir. Je me débrouillais avec les autres pour pouvoir manger ou acheter quelque chose. Elle me disait de l’appeler en cas de problème, ou parfois elle me disait qu’une de ses copines passerait de temps en temps. Mais personne ne passait, on restait seuls.
J’étais la seule qui faisait le ménage de haut en bas, à part sa chambre et celle de son fils. La seule qui faisait la vaisselle aussi, parce que j’étais la plus grande de la maison après elle, et que c’était obligatoire. C’est ce qu’elle disait à chaque fois.
Les familles d’accueil ne sont pas toutes les mêmes. Il y en a qui sont gentilles et il y en a qui profitent. J’en ai connu deux. Dans la première, je n’ai fait que trois mois, et dans la deuxième, trois ans. La première était vraiment gentille, mais je n’y étais qu’en urgence. Dans la deuxième, il y avait beaucoup de choses qui se passaient.
Première embrouille
On était quatre. Il y avait mon frère qui avait 12 ans, une fille qui avait 11 ans et une autre qui avait 15 ans. Moi, j’avais 18 ans.
Le premier jour, quand je suis arrivée avec mon frère, elle nous a bien accueillis en nous montrant la maison, les chambres, les toilettes. Je me sentais un peu perdue parce que je ne la connaissais pas bien, mais elle avait l’air si gentille que je la voyais déjà comme un membre de ma famille… mais l’apparence était trompeuse.
Une semaine après, je finis tôt les cours car il y avait des profs absents. Je rentre à la maison, elle n’est pas là. Je l’appelle pour la prévenir que je suis devant la porte, elle me demande de l’attendre. Des heures après, je suis toujours devant, à attendre. Comme il fait froid, une voisine me propose de venir l’attendre chez elle, j’appelle ma famille d’accueil pour la prévenir. Après être rentrée, elle me fait du chocolat chaud histoire de se faire pardonner.
Après, je vais dans ma chambre. Ma sœur m’appelle pour prendre de mes nouvelles et je lui explique ce qui s’est passé. Elle s’énerve et direct elle appelle l’éducatrice pour lui dire. Par la suite, l’éducatrice a appelé ma famille d’accueil et, après cet appel, elle a commencé à m’embrouiller : je ne devais pas dire à ma sœur ce qui passait dans la maison.
On disait au juge que tout allait bien
L’éducatrice passait rarement à la maison. C’était quand la dame avait dit quelque chose sur moi ou mon frère, ou quand on devait aller voir le juge des enfants. Avant son arrivée, elle nous mettait en garde. Elle nous disait de faire attention à ce qu’on allait dire si elle nous posait des questions sur la maison ou par rapport à elle.
On allait voir le juge des enfants car on était placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE). C’est lui qui prend toutes les décisions concernant les démarches administratives, le placement en famille d’accueil ou foyer, mais aussi les droits de visite. Il posait des questions sur comment ça se passait à la maison et on répondait que tout allait bien.
J’en ai parlé avec ma demi-sœur. Je lui disais ce qu’on vivait. À chaque fois, elle me disait de ne pas me laisser faire, que s’il y avait un truc qui n’allait pas, il fallait le dire à l’éducatrice. Elle voulait écrire une lettre anonyme pour qu’on nous change de famille d’accueil, mais je disais tout le temps non.
Je n’en ai parlé qu’à la fin parce qu’à chaque fois, elle nous faisait croire que si on parlait, elle allait avoir des problèmes, jusqu’à même perdre son boulot. Je ne voulais pas lui faire du mal, car même s’il y avait des jours où tout n’était pas rose, il y avait aussi un jour de bonheur.
Maintenant, je vis dans un appartement. Depuis que j’ai quitté cette famille d’accueil, je me sens super bien mentalement et physiquement. Je suis libre de faire ce que je veux et de sortir comme je veux, sans avoir de compte à rendre après. Dieu merci, tout est fini.
Kenza, 19 ans, lycéenne, Saint-Denis