Sortir la nuit, c’est fini
Il fait nuit, il y a du brouillard, ambiance film d’horreur glauque. Je vais à la gare pour rentrer chez moi, je pars de chez mon copain. Il n’y a personne dans la rue, c’est la campagne, un petit village. Là, j’entends deux bruits de motos très très forts derrière moi. Je me retourne. Je vois que le mec sur une des deux motos fait un mouvement de bras en direction du trottoir. L’autre s’arrête quand il voit le signe de son copain. Il lâche sa moto et fonce vers moi.
Au même moment, une voiture arrive. Je lui fais des grands grands signes en mode paniquée : « Arrêtez-vous, arrêtez-vous ! » Le premier gars, il crie « remonte sur ta moto » à l’autre. Ils partent, et moi je reste immobile sur le trottoir. J’appelle ma copine, qui heureusement est à côté. Elle sort en peignoir dans la rue, elle me ramène avec elle. Je suis en pleurs.
Dans la rue, il y a encore un peu de lumière qui vient des lampadaires. Il est 21 heures.
Soirées solo et avec ma mère
J’ai appelé ma mère, elle a commencé à paniquer. Je suis rentrée le lendemain matin, ma copine m’a accompagnée à la gare. Après ça, ma mère a vu dans le journal du village qu’il y avait eu deux enlèvements à proximité.
Sur le moment et le lendemain, je me suis dit : « C’est pas grave, j’essaie de ressortir. » Mais dès que je me retrouvais seule ou qu’il faisait un peu noir, je ne pouvais pas m’empêcher de me retourner car j’avais trop peur. Comme ça me paniquait, j’ai arrêté de sortir le soir.
Mais comme je sortais moins, ça m’a donné envie de rester tout le temps chez moi. Du coup, je n’ai plus parlé à personne et je suis restée toute seule. Maintenant, je regarde des séries (j’ai découvert Orange Is the New Black, que j’aime beaucoup), je dessine, je passe du temps avec ma mère. Je trouve ça beaucoup mieux que de prendre des risques bêtement. J’adore passer du temps avec ma mère, je lui lisse les cheveux, je la maquille et on se fait des soirées films.
Un fossé entre elles et moi
Avec mes amies, on a pris nos distances. Avant, je sortais beaucoup, je faisais beaucoup de bêtises. On faisait tout le temps des soirées entre copines. On sortait la nuit, on buvait, on fumait. Des fois, on allait chez des copines où les parents n’étaient pas là, ou on sortait rejoindre des copains.
Mais les relations se sont dégradées. Comme je donnais moins signe de vie, elles m’oubliaient. Elles n’ont pas vraiment mal réagi au fait que je préfère ne plus sortir comme je le faisais avant l’incident. Mais elles ne comprennent pas vraiment ce qu’il se passe dans ma tête et continuent leurs vies. Moi, je réfléchis trop, je me demande : « Qu’est-ce qui se passe si les gens réussissent à faire ça ? » Quand on ne le vit pas, on ne peut pas vraiment comprendre l’effet que ça donne.
Elles continuent à faire leurs trucs, je le vois en Stories, mais je n’ai même plus envie d’y être. Quand je les vois sortir en jupe comme ça à 3 heures du matin, je me dis : « Mais c’est pas possible » ; « C’est chaud »… et heureusement que je ne le fais plus. Inconsciemment, je me dis presque « heureusement qu’il m’est arrivé ça », qu’il y a eu ce déclic. Quand t’es une femme, t’as toujours peur, tu dois toujours regarder derrière toi, t’as peur de t’habiller comme t’as envie.
C’est vraiment triste de se dire que, dans notre monde, une femme ne peut pas s’habiller comme elle le souhaite par peur de se faire agresser. Si je n’avais pas besoin de me méfier, je sortirais toujours, je ferais des balades nocturnes seule. Je n’aurais aucune peur qu’on me fasse du mal.
Lily, 16 ans, lycéenne, Lyon