Nina D. 11/04/2024

Une famille rongée par le silence

tags :

Nina a longtemps attendu des réponses à toutes ses questions. Jusqu’à ce qu’elle comprenne que, chez elle, personne ne communiquait véritablement.

Je vis ma vie avec une grande question : « Est-ce que ma mère est toujours vivante ? » Jusqu’à mes 4 ans, j’habitais avec ma mère, mon frère et ma sœur. Mon père venait souvent nous voir, je ne suis plus sûre de s’il habitait avec nous. Du jour au lendemain, sans donner de raison, ma mère est partie. Personne ne sait où elle est, pas même mon père. 

Ma grande sœur s’est souvent demandée pourquoi nous n’avions plus de nouvelles d’elle. Avec ma tante, elles ont essayé de l’appeler sur son numéro, sans succès. Elle a dû le changer. Mon frère et moi, au départ, on était trop jeunes pour comprendre. C’est plus tard que j’ai pensé à chercher ma mère, au moins pour savoir si elle était encore en vie. J’ai appris qu’elle n’avait pas connu son père biologique et que sa mère à elle l’avait fait adopter. Elle aussi, elle a cherché sa mère.

« Mon père ne discutait pas avec nous »

Avec mon frère et ma sœur, nous sommes longtemps allés vivre chez ma grand-mère. On a pu continuer notre cursus scolaire normalement. On m’a raconté que ma mère avait hésité à nous séparer en ne prenant qu’un de nous trois, mais qu’au final elle a préféré partir seule. Ma famille me répétait sans cesse qu’elle était une mauvaise personne et, à force, j’ai fini par y croire. Au fur et à mesure, j’ai cumulé les doutes. J’ai appris à vivre avec la frustration de ne plus avoir de maman, de ne pas savoir vraiment qui elle était, tout en regardant mes amies rire avec la leur. 

Un an est passé. À mes 8 ans, mon père a pu avoir un appartement. On a déménagé chez lui. J’ai changé d’école et je n’avais plus beaucoup d’amis. Mon père ne discutait pas avec nous, il restait dans sa chambre. J’ai grandi sans vraiment pouvoir m’exprimer. Pourtant, la communication au sein d’un foyer, c’est primordial selon moi. Ne serait-ce que pour cohabiter, pour parler des tâches ménagères. Mais surtout, pour partager, entretenir un lien les uns avec les autres, ne pas se sentir seule.

« Le silence laisse des traces »

Je suis la preuve que le silence laisse des traces, qu’il te ronge petit à petit, te rattrape. Avec le temps, j’ai développé un vrai blocage avec le fait d’être tactile ou de montrer mes émotions. Quand j’étais en première, mon père s’est trouvé une copine et j’ai appris que j’allais avoir un petit frère. Il nous a tous réunis dans le salon pour nous l’annoncer. Il a aussi fait un discours sur notre futur, en nous donnant des conseils. C’est la seule fois où il nous a vraiment parlé. J’ai pensé que ça allait détendre l’atmosphère pesante dans la maison. 

Sauf que non, à cette période, j’ai commencé à développer des signes d’anxiété. Je faisais des crises de panique plusieurs fois dans la journée. Ça a commencé à impacter ma scolarité. J’ai fini par faire une dépression. Quand mon père a été mis au courant par l’infirmière, il m’a emmenée voir une hypnothérapeute puis un psychiatre et un psy. Il n’a jamais voulu que je prenne de médicaments mais ça m’a aidée à faire sortir les nombreuses émotions qui étaient enfouies en moi et à gérer mon stress. 

« On a eu un rendez-vous avec une thérapeute »

Au bout d’un moment, on a essayé de passer par la thérapie familiale. On a eu un rendez-vous avec une thérapeute qui nous a demandé de faire un effort pour se parler, chacun à notre manière. J’ai trouvé ça trop rapide de nous demander ça dès la première séance. D’ailleurs, ça n’a pas changé car personne n’a tenu sa promesse et on n’y est plus retournés. C’est à partir de là que j’ai réellement pris conscience qu’il y avait un problème dans ma famille. 

Avec le temps, j’ai fini par accepter que ma situation familiale ne changerait pas. J’aurais aimé que ça se passe autrement mais je ne peux pas changer la personnalité de mon père. Il a grandi de cette façon. Inconsciemment, il reproduit un schéma. Peut-être même que je ferai la même chose avec mes enfants. Quand j’y pense, je me demande si je veux vraiment en avoir.

Nina, 19 ans, volontaire en service civique, Paris

Partager

Commenter