Du deal aux études supérieures
À 14 ans, j’étais plutôt bon élève, intéressé par les cours et déterminé à avoir un bon métier plus tard. En même temps, je souffrais du jugement des autres sur mon style vestimentaire. Je m’habillais normalement, mais ne pas avoir de doudoune Canada Goose ou Parajumpers à 600 euros suffisait pour que je sois classé dans la catégorie des « clochards ». À force de moqueries, j’ai commencé à être plus faible psychologiquement et à être vraiment complexé de ne pas ressembler aux autres. J’en ai parlé à mes parents, mais nous sommes six dans ma famille et ma mère ne travaille pas, donc ils ne pouvaient pas apporter de solution à mon problème.
Un jour, j’en ai parlé avec un grand de ma cité qui m’a fait une proposition très alléchante : gagner 350 euros en un week-end. J’ai accepté. Mais je ne réalisais pas que j’étais en train de m’engouffrer dans un chemin sombre duquel il est difficile de sortir.
Avertissements, conseils de discipline et exclusions
Mon travail était très simple, je servais d’intermédiaire entre les microbes (les vendeurs) et le virus (le gérant). J’avais pour mission de déposer la sacoche pleine de drogue et de récupérer en échange celle qui était pleine d’argent. Cela me semble un peu fou aujourd’hui, mais je ne prenais pas du tout en considération le risque. J’avais une seule idée en tête : acheter des vêtements de marque pour être enfin comme les autres. Dès que j’ai eu ma première paye, j’en ai acheté tellement que j’en cachais chez mes amis pour ne pas éveiller les soupçons de ma famille. J’ai commencé à sécher les cours pour travailler davantage et plus les semaines passaient, plus je devenais comme ceux que j’enviais avant. J’avais des fringues de luxe et j’avais l’air riche.
Tombé dans le trafic de shit quand il a décroché des cours, Ilan a aussi brassé pas mal d’argent. Et puis, un jour, la rencontre avec sa copine a tout chamboulé. «Le deal, j’en suis sorti pour ma copine, pour mes études »
Mais derrière cette façade, j’étais très malheureux. À cause de mes absences en cours, j’ai eu des avertissements, des conseils de discipline et des exclusions. Mes profs, qui avaient noté un changement de comportement, ont convoqué mes parents. La rumeur a commencé à circuler dans le quartier et l’ambiance est devenue très tendue à la maison. Dans la cité, on voit vite qui vend et qui vend pas. Moi, j’étais rodave. Du coup ça a parlé et tout le monde l’a su. C’est arrivé jusqu’aux oreilles de mes parents, mais j’ai toujours nié. Mon père ne m’adressait plus la parole et ma mère ne cessait de pleurer. Je ne supportais pas que mon entourage ait une mauvaise image de moi et que des amis fidèles me tournent le dos. J’ai aussi commencé à prendre conscience de l’illégalité de ce travail et à angoisser tous les jours par rapport à mon avenir, car je savais que je n’allais pas faire ça toute ma vie. À la fin de la troisième, j’ai explosé et j’ai tout arrêté.
Donner tort à ceux qui ne m’ont jamais cru capable
Je me suis lancé dans un bac pro commerce pour faire plaisir à mon père et apaiser les tensions. Dans ses rêves, j’allais ensuite intégrer une grande école de commerce. Mais pendant ces années de lycée, je n’étais pas épanoui. Mon rêve à moi, c’est d’être médecin. Au-delà du côté humain, c’est le challenge de réussir des études difficiles qui me motive. Une fois mon bac obtenu, j’ai donc intégré le DU PaRéO de l’Université Paris-Descartes pour me remettre à niveau en mathématiques et en physique-chimie et me donner une bonne méthodologie de travail. Ainsi, l’année prochaine, je donnerai peut-être tort à tous ceux qui ne m’ont jamais cru capable d’aller loin.
Yanis, 20 ans, étudiant, Champigny-sur-Marne
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