1er mai : j’ai manifesté et je me suis sentie en danger
Cette année, je suis allée à la manifestation du 1er mai, à Paris. C’est une date importante. Les gouvernements successifs ne vont pas dans le sens d’une amélioration des conditions de travail et ni dans le sens d’une amélioration de la vie des gens tout court. En tout cas, pas de celle des gens d’en bas, ceux qui s’usent au travail, ceux qui galèrent, ceux qui n’en peuvent plus de manquer de thune et qui se rendent bien compte que ce n’est pas normal, ceux qui n’ont souvent plus d’espoir…
Pourtant de l’espoir, j’en ai vu mercredi dernier. J’ai vu des milliers de gens dans les rues de Paris. Des jeunes, des vieux. Des trentenaires. Des quadras. Des étudiants. Des travailleurs. Des chômeurs. Des retraités. Des profs. Des gilets jaunes. Des encartés. Des autogérés. Des groupes. Des tout seuls, comme moi.
J’ai entendu des slogans. J’ai entendu des chansons. Ça sentait la merguez et la fête. Il faisait beau. Les gens étaient contents de défiler. Et les gens étaient en colère aussi. Ils étaient là pour rappeler qu’ils existent, qu’ils ont des droits et veulent les défendre. Moi, j’étais là aussi pour ça.
Des armées de policiers dans les rues
Evidemment, je savais que les black blocks ne manqueraient pas à l’appel. Leur mode d’action peut paraître violent et inutile. C’est le leur. Et la violence qu’ils expriment n’est rien comparée à la violence de l’État. Ce 1er mai, il y avait des armées de policiers dans les rues de Paris. Elles se concentraient près des restaurants de luxe, des grandes banques. Elles bloquaient la plupart des rues. Elles étaient là pour assurer la sécurité du cortège.
Jamais, en manif, je ne me suis sentie plus en danger qu’il y a deux jours.
Je me rendais bien compte que les choses chauffaient beaucoup en début de cortège donc arrivée boulevard de l’hôpital, j’ai décidé de faire demi-tour pour rejoindre le milieu de cortège. J’espérais tomber sur une de mes amies qui était là quelque part avec ses potes.
Et puis, ça a commencé à péter devant, vers la fin de la rue Buffon… Instinctivement, la foule a reculé. Mais ça commençait à péter en arrière. Nous étions envahis de gaz lacrymogène. Je voyais les gens autour de moi pleurer et tousser. Nous étions pris en étau. Les rues perpendiculaires à la rue Buffon étaient bloquées par la police. Nous avons encore avancé et encore reculé. L’air devenait de plus en plus irrespirable. Je commençais à sérieusement paniquer. Les gens essayaient de se réfugier dans les cours d’immeuble. Par chance, j’ai vu une porte s’ouvrir et je me suis engouffrée avec quelques autres personnes dans un hall. Les détonations ne s’arrêtaient pas. Par la suite, j’ai vu sur les réseaux sociaux que certains manifestants avaient dû s’entasser dans certaines cours et même dans un hôpital pour fuir et se protéger.
J’avais peur que des gens soient morts
Par chance, nous n’étions pas nombreux dans le hall où j’avais trouvé refuge. Nous avions du mal à respirer. Je me suis assise sur le sol. J’ai attendu. En fait, dehors, c’était la guerre. Il y avait des cris et des explosions. Un homme gardait la porte du hall. Il disait qu’il craignait que des CRS entrent ici pour tabasser au hasard. Il disait que cela s’était déjà produit. Je sais de quoi ils sont capables.
J’avais beau me dire que c’était la France, que ce n’était pas si terrible, j’avais peur que des gens soient morts dehors.
Et je me disais surtout qu’il fallait que les gens sachent exactement ce que cela signifiait de manifester aujourd’hui en France. J’ai attendu encore un bon moment, que ça se calme un peu. Je suis sortie prudemment. Les rues étaient encore bloquées par les CRS mais j’ai trouvé une petite rue par où m’enfuir pour rejoindre mon amie et ses potes.
Il y a trois ans, Emile nous expliquait ce qui le poussait à être un « casseur ». Pour lui, il s’agit surtout de marquer violemment un ennemi commun. « Manifs : pourquoi je « casse » »
Nous nous sommes rejoints dans un bar près la place de la Contrescarpe. Je ne me suis souvenue qu’une fois arrivée là-bas de ce qui s’y était produit il y a un an, les violences.
Ce 1er mai 2019, les policiers étaient partout, avec leurs véhicules, leurs caméras, leurs drones, leurs armes. Je me souviens avoir dit à mon amie : « T’imagines si on nous montrait une photo de deux femmes, en train de fumer presque tranquillement, résignées et attristées, entourées d’une armée de flics… On se dirait que pareille scène ne pourrait se dérouler dans un pays démocratique, que c’est trop horrible ! »
Les deux femmes de la photo, ça aurait été nous.
Marion C., 23 ans, Paris
Crédit photo Hans Lucas // © Karine Pierre