Lucile M. 17/11/2019

Je n’ai pas la gueule de la France

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Je suis française. Oui, mais voilà, je suis métisse. Alors, on me renvoie sans cesse à mes origines togolaises. Au point de me questionner sur ma couleur.

Je suis née en France, je suis française. Et pourtant, je me sens étrangère dans mon propre pays.  Ce sentiment, je l’ai eu à cause de toutes les remarques sur ma peau noire, mes cheveux et mes origines.

Il est difficile d’affirmer mon identité quand, face à moi, par ignorance de l’inconnu, on remet en question ce que je suis : une Française avant tout, certes issue d’un métissage.

J’ai passé 15 ans de ma vie dans une école privée catholique avec très peu de diversité. Au primaire, en comptant ma petite soeur, on était deux personnes de couleur. Au collège, ça a augmenté : quatre par niveau. Autant vous dire qu’on se sent vite différente. Un jour, en CP, j’ai décidé de me lâcher les cheveux parce que je me trouvais jolie comme ça. J’ai vite déchanté. On me pointait du doigt et on ricanait. Je n’ai plus jamais lâché mes cheveux jusqu’à ce que je fasse mon premier lissage brésilien au collège. Je rêvais d’avoir les cheveux lisses et d’être enfin dans la norme.

Les cheveux lissés, le regard que les gens portaient sur moi a changé. J’étais enfin jolie à leurs yeux. « Ça te va trop bien les cheveux lisses ! C’était dégueulasse avec ton chignon avant. » Drôle de compliment. Après avoir complexée à cause de mes cheveux frisés (enfin crépus pour eux), me voilà en train de complexer à cause d’une simple coiffure. Un jour, j’ai eu le malheur de me refaire un chignon et un de mes amis m’a dit que je ressemblais à l’ancienne moi. Une coiffure a donc le pouvoir de changer mon identité.

Pour les autres j’étais noire… donc africaine

Dans cette école, j’ai aussi commencé à détester ma couleur de peau. Un jour, quand j’étais petite, ma baby-sitter, qui pourtant était noire, m’a dit que si j’étais comme ça, c’était parce que j’étais sale. Je l’ai crue. Dans le bain, je me frottais la peau pour me « nettoyer ». Je voulais être blanche comme les autres pour ne plus avoir à subir les blagues incessantes qui me renvoyaient sans arrêt à l’Afrique que je ne connaissais pas. L’Afrique, je n’y étais jamais allée, ça ne voulait rien dire pour moi. Au fil des « Fais l’accent africain », « Écarte les narines », « On ne te voit pas dans le noir », s’est développée en moi une haine des Noirs à laquelle je ne voulais pas être rattachée. Je n’aimais pas ce que cette couleur me faisait endurer. Le Noir, c’est celui dont on peut se moquer parce qu’il a un gros nez, un accent bizarre, des cheveux crépus. Le Noir, c’est celui qui est étrange. Voilà ce que je me disais à l’époque.

Rebecca n’est pas la seule à avoir voulu être blanche. Nombre de femmes noires à travers le monde cherche à se blanchir la peau. Nocif pour la santé et symbolique d’un malaise sociétal, le magazine Marie-Claire en parle.

J’en ai aussi beaucoup voulu à mon père de m’avoir légué cette partie noire. D’ailleurs, en cinquième, il a voulu nous faire découvrir son pays, le Togo. Je n’étais pas contente d’y être. Les gens étaient pourtant si gentils, si joyeux. Mon grand-père, mes oncles, mes tantes, mes cousines et cousins étaient heureux de nous rencontrer. Ils nous traitaient comme des reines. Tout était fait pour qu’on se sente bien. Et moi, je faisais la gueule. Je ne comprenais pas leur culture. Je me sentais oppressée. Je ne voulais avoir aucun rapport avec ces gens-là.

« Ah mais vous pouvez bronzer vous ? »

En colonie, quand on était à la plage et que je disais que j’avais bronzé, certains étaient étonnés : « Ah oui mais vous pouvez bronzer vous ? » Ou : « On m’a dit que vous bronziez bleu. » Au départ, je faisais semblant de m’en amuser mais ce genre de réflexions a continué jusqu’au lycée. Je n’ai plus pu me contenir, je les ai insultés. J’en avais marre qu’on fasse comme si j’étais un extraterrestre, quelqu’un qui n’était pas humain. Comment comprendre qu’à leurs âges on se pose encore ce genre de questions ? Qu’un enfant, qui ne connait encore rien au monde, s’intéresse souvent maladroitement à la différence pour essayer de la comprendre, ça me semble normal. Avec le temps, cet enfant grandit, apprend et est censé avoir découvert les gens qui l’entourent. Hélas, je suis forcée de constater que l’ignorance, les on-dit et les préjugés demeurent ancrés chez certaines personnes, même à l’âge adulte.

En 2018, l’écrivaine Reni Eddo-Lodge a publié « Le racisme est un problème de blancs ». Dans cet essai, elle parle du racisme structurel et des préjugés raciaux omniprésents dans nos sociétés. Interviewée par le monde, elle raconte.

Il y a aussi toutes les questions sur les origines qui m’ont beaucoup blessée. Une en particulier. Cette question toute simple : « Tu viens d’où ? » Cette question à laquelle tu réponds naïvement « de région parisienne », ce à quoi on te rétorque : « Non mais VRAIMENT, tu viens d’où ? » Tu donnes le pays, on l’écorche à deux reprises en le confondant avec le Congo. Togo, Congo, c’est vrai que c’est la même chose, ils sont tous noirs de toute façon là-bas. L’ignorant semble heureux, il a enfin son explication, l’illusion de ton identité. Un jour, ma petite sœur et moi avons parlé de ça à ma cousine blanche et elle nous a dit : « Non mais il faut être réaliste, vous serez jamais complètement françaises. » Voilà qui est clair.

Je suis enfin fière de ce que je suis

Après avoir longtemps essayé de faire admettre aux gens ma « part » blanche, en vain, j’ai senti qu’il fallait au moins que je me réconcilie avec ma partie noire. Je suis donc partie après le bac, cinq semaines, toute seule, au Togo, pour voir la famille de mon père. Je ne me suis jamais sentie aussi acceptée. On m’appelait « fille d’Afrique ». Aujourd’hui, à la question « Tu viens d’où ? », je suis maintenant fière de donner mes origines togolaises, alors qu’avant j’en avais honte.

Je me suis sentie belle aussi. Là-bas, les garçons me regardaient. J’aurais bien aimé que le conférencier qui était intervenu dans mon lycée voit ça ; lui qui avait sorti dans le plus grand des calmes : « Le modèle de beauté universelle, c’est la femme blanche. » Non monsieur, le monde ne tourne pas autour des critères de beauté de la France.

De nationalité française, Chaïma a dû attendre de voyager aux États-Unis pour enfin définir librement son identité, sans avoir affaire à la question : « Non, mais c’est quoi ta vraie origine ? »

Aujourd’hui, l’identité ça ne veut plus rien dire pour moi. J’ai l’impression d’être sur un siège éjectable : on peut m’enlever mon identité à tout moment. J’aurais beau crier haut et fort que je suis française et que j’aime la France, il y aura toujours un petit con pour me remettre à ma place. Ou plutôt pour m’assigner une place. Et puis de toute façon, je ne me sens pas légitime à revendiquer le fait d’être française. Quand Eric Zemmour demande si « les jeunes Français accepteront de vivre en minorité sur la terre de leurs ancêtres », ai-je le droit de m’inclure dans ce groupe qu’il appelle les jeunes Français ? Ou n’ai-je pas assez la gueule de la France ?

 

Lucile, 20 ans, étudiante, Nanterre

Crédit photo Unsplash // CC Clarke Sanders

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