Mon premier job à Paris, à mi-temps et sans logement…
Avoi4 octobre 2017, mon téléphone sonne. Je décroche mon premier job à Paris : vendeuse, 15 heures/semaine, en CDI. C’est une marque que j’adore depuis mon enfance. Mon rêve de travailler dans la mode allait enfin se concrétiser ! Mon objectif, c’était d’acquérir de l’expérience et je partais de zéro : une ancienne vendeuse de tickets de cinéma sans expérience, sans réseau, sans diplôme et avec quelques euros sur le compte. Et quoi de mieux que de commencer par la capitale de la mode ? J’étais loin d’imaginer que l’objectif que je m’étais construit durant 16 ans pourrait être remis en question en l’espace de quelques mois. Parce que, à Toulouse, près de chez moi, trouver un logement avec la moitié d’un SMIC, c’est possible. À Paris ? Je pouvais commencer à me chercher une tente Quechua.
La mode, c’était mon domaine de prédilection, contrairement à mon père qui aspirait à ce que je devienne gendarme ou avocate. D’ailleurs, le mot « diplôme » n’arrêtait pas de sortir de la bouche de mes parents qui n’avaient pas les moyens de m’aider financièrement. Quand j’ai perdu subitement mon père en 2017, quelques mois avant, j’étais partagée entre fuir, pour moi, et rester, pour ma mère. Est-ce qu’inconsciemment je la fuyais, ainsi que mes frères ? Sûrement. Paris était l’issue de secours et je n’avais rien à perdre en partant. J’ai très vite appris à être indépendante et à me lancer dans des choix osés, et quand on a vécu le pire, ce ne sont pas les heures de transports qui nous arrêtent. Avoir un mi-temps à Paris et habiter Toulouse revenait pour moi au même que d’aller travailler à Narbonne.
Ma vie dans les transports
Je prenais un bus à 5h du matin pour prendre un premier train jusqu’à Toulouse. Ensuite, j’en prenais un second à 6h direction Paris. J’arrivais à midi et à 15h, j’embauchais. Puis, à 20h je prenais le train pour rentrer à Toulouse. J’arrivais le lendemain à 10h du matin chez ma mère dans un petit village appelé Miremont. Un siège de train ne m’a jamais semblé aussi confortable.
Je faisais ces allers-retours trois fois par semaine et je payais mon abonnement 80 euros par mois pour avoir des trains illimités. Au taff, cela m’a valu le surnom de « The Legend ». La SNCF m’a même envoyé un e-mail de félicitations pour avoir fait 53 162 km en trois mois. Super. Merci de me rappeler que j’aurais pu faire le tour du monde.
Je n’avais pas conscience d’être à la rue
Trois mois après, je suis passée en 24 heures. Je ne pouvais plus continuer cette vie de nomade et devais réduire ces allers-retours à un maximum par semaine. Je n’avais pas de budget pour payer un loyer alors, pendant les trois mois qui ont suivi, j’ai logé chez une dizaine de personnes du travail. J’ai fait des hôtels, des sous-locations, du couchsurfing, des couchettes, un tas de sols et de matelas gonflables.
Je n’avais pas conscience de la gravité de ma situation. D’être à la rue. Je relativisais constamment. Les quelques recherches d’appartements que j’avais faites étaient catastrophiques. Je me souviens d’un jour où je suis partie visiter un appart à deux heures de Paris. Insalubre et avec des squatteurs. Avec mon salaire de 900 euros, c’est tout ce que je pouvais me permettre : un logement social à moindre coût.
Niveau pro, ce mode de vie n’a jamais eu d’impact. J’étais ponctuelle, toujours de bonne humeur et efficace. Ma détermination était plus forte que tout. C’était surhumain d’ailleurs. Par contre, ce que je n’avais pas vu venir, c’était le chaos dans ma vie personnelle. J’ai été confrontée à des épisodes de dépression réactionnelle. En fin de journée, je me retrouvais seule face à moi-même, avec parfois ce stress de ne pas savoir où dormir ; pendant que ma vie sociale était clairement en déclin et que je perdais mes amis de Toulouse qui ne comprenaient pas un tel choix de vie. J’étais tellement obnubilée par le fait de réussir dans la mode que j’en avais même oublié de soutenir le deuil de ma mère. J’étais solitaire.
Après toutes ces galères, j’allais enfin être locataire
En plus d’être vendeuse, j’ai été plusieurs fois habilleuse pour acquérir de nouvelles expériences dans un nouveau monde : le luxe. Et puis un soir, à 23h, je me suis retrouvée dépassée par cette situation : je ne savais vraiment pas où dormir. Je suis donc allée dans une pizzeria. J’étais assise avec ma pizza en face de moi, mes deux valises et mes trois sacs de courses Carrefour (où je mettais mes fringues) en guise de compagnons. J’avais décidé de tout laisser tomber. J’avais fait tellement de sacrifices, pour si peu. C’était décidé, le lendemain, je rentrerai chez moi, définitivement.
À Paris pour ses études, Lana a du mal à trouver un logement décent… Alors elle squatte le canapé d’une amie, mais pour combien de temps ?
J’étais sur le point de prendre mon train quand mon téléphone a sonné. J’avais décroché un appartement à l’ALJT (Association pour le Logement des Jeunes Travailleurs). J’arrivais pas à le croire. Après tout ce temps de galère, j’allais enfin être locataire. J’ai fondu en larmes, mais des larmes de joie cette fois. J’ai donc fait demi-tour, direction l’ALJT de Diderot dans le 12ème pour visiter mon nouveau chez moi.
Se débrouiller tous les jours, ne compter que sur soi-même, gérer son budget, oser demander de l’aide, être confrontée à la solitude… Avoir mon propre logement m’a ouvert les yeux, ces même yeux aveuglés par les paillettes de la mode. Aujourd’hui, je veux aider comme on m’a aidée. Je me vois bien mêler l’art au social. Je veux faire de mon futur métier une main que je tendrai vers une autre. Et je crois que là-haut, il y a quelqu’un qui est fier de sa fille.
Anaïs, 25 ans, salariée, Paris
Crédit photo : Anaïs // © Carolina Arantes pour La ZEP et l’ALJT Paris