Salomé 01/06/2021

2/3 Ma famille m’a forcée à retirer ma plainte

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Victime d'inceste, Salomé a porté plainte contre son père. Mais face au chantage affectif de sa famille, elle a fini par la retirer.

Les gens de ma famille qui étaient au courant de ce que j’avais subi me disaient : « Si tu ne portes pas plainte, c’est qu’il ne s’est rien passé. » Alors j’ai décidé de le faire. Le jour où j’ai porté plainte contre mon père pour viol, j’étais tétanisée mais sûre de moi et de ma décision.

Un gendarme, la quarantaine, m’accueille et me prie de bien vouloir le suivre jusqu’à son bureau. Il m’explique comment va se passer la matinée : « Voilà, ici se trouve une webcam qui va me servir à enregistrer ta plainte. Cela est nécessaire car, en cas de besoin, nous n’avons pas à te convoquer et pouvons trouver nos réponses en visionnant cette vidéo, as-tu compris ? » J’acquiesce d’un hochement de la tête.

Il me demande des informations, des détails sur ma famille afin de tous les situer dans ma vie. Puis, vient le moment où il faut lui expliquer, dans les moindres détails, ce que j’ai subi de la part de mon père pendant de nombreuses années. Il veut tout savoir : les dates, les moments, qui était présent dans la maison quand cela se passait. J’ai la voix tremblante. Mon père, qui n’est pas mon père biologique mais mon père adoptif, m’a violée de mes 12 ans à mes 18 ans et demi.

« Tu viens de faire exploser une bombe »

Quand je suis sortie de la gendarmerie, j’ai dormi pendant vingt-quatre heures. Ensuite, dans ma tête, il n’y avait qu’une seule chose : je redoutais la réaction de ma mère. Son texto, quand elle a appris que j’avais porté plainte, résonne encore dans ma mémoire : « OK, je respecte ton choix, mais sache que rien ne sera plus comme avant. Tu viens de faire exploser une bombe au sein de notre famille, quand papa va le savoir, je crains sa réaction. »

Pendant de longues semaines j’étais coupée du monde. Plus personne ne me parlait. Aucun membre de ma famille ne répondait à mes appels, à mes textos.

Quand je reprends enfin un semblant de vie dans mon appartement, je reçois un dimanche après-midi la visite de ma mère, de mon parrain et de ma marraine. Je suis d’abord contente qu’ils soient là, chez moi. Mais, très vite, je déchante… Ils sont là, mais pas pour moi : « Salomé, si tu ne retires pas ta plainte, ton père va faire une connerie. Pense s’il te plaît à tes sœurs, ton frère, que vont-ils devenir si ton père fait une connerie ? Et moi, tu penses à moi ? » Dans ma tête, plusieurs sentiments : la peur, l’incompréhension, la colère, la tristesse, le dégoût.

Selon l’Ipsos, l’inceste touche un enfant sur dix, mais le tabou persiste. Le deuxième épisode du podcast Ou peut-être une nuit de Louie Média décortique la silenciation des victimes par leur bourreau et par leurs proches afin de ne pas faire éclater la vérité au sein du cercle familial.

 

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Quelque temps plus tard, ma mère m’expédie un SMS : « Si tu retires ta plainte, je ne te promets pas que tout redeviendra comme avant mais ça s’arrangera. Tu pourras revoir tes sœurs et ton frère. Tu ne pourras pas venir tout de suite à la maison, je ne veux pas, mais ils viendront chez toi. Papa te pardonne, maintenant à toi de choisir, voici l’adresse du procureur de la République. »

Ma lettre au procureur de la République

Quelques jours passent, toujours avec le même texto : « As-tu fait ton courrier au procureur de la République ? » Et un jour, j’ai craqué aux paroles de ma mère me faisant culpabiliser envers mes sœurs et frères : j’ai fini par écrire au procureur de la République. C’est ma mère qui est passée chez moi prendre l’enveloppe et l’expédier. Je n’ai rien su dire. Encore une fois, je me suis laissée faire. Dans le courrier, j’ai mis que j’avais dû mal interpréter l’attitude de mon père, et que tout était faux dans ma plainte. En fait, j’ai écrit ce que ma mère voulait : que c’était juste « des gestes d’amour ».

C’était il y a deux ans. Maintenant, même si j’ai toujours aussi honte et aussi mal, j’ai abandonné l’idée de porter plainte. Si mon père était jugé, je perdrais tout : mes frères et ma sœur, ma famille, ma mère.

Ce que je voudrais surtout, c’est pouvoir tout oublier. J’aurai 24 ans dans quelques jours : je suis incapable d’avoir une relation amoureuse. Je ne peux pas être touchée, je ne fais plus confiance.

On m’a volé mon enfance, on m’a volé mon intimité, ma vie.

Salomé, 24 ans, en formation, Lille

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

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3 réactions

  1. Surtout ne reste pas seule et si tu as eu le courage d’engager une plainte, y renoncer engendrera en plus des regrets qui te dévaloriseront plus encore de toi vis à vis de toi. Un père normal ne fait pas de telles choses, c’est lui qui à fait exploser la famille pas toi.

  2. Ce que je vais dire va sans doute faire mal si tu me lis, aussi tu peux arrêter de me lire ici ou prendre une grande inspiration : ta famille, tu l’as déjà perdue. Porte plainte, va au bout, je pense que ça pourrait te faire du bien. Pour ce qui est d’être touchée, d’avoir une relation amoureuse, de renouer avec ton intimité, va voir un psy. Je pense que vue la situation il faudrait peut-être même que ce soit un homme. Va voir un psy. Ce sera dur, il faudra tout redire comme au gendarme, ça va faire remonter des choses. Mais des choses qu’il faut affronter. Si le premier psy que tu vas voir n’est pas le bon, essaye ailleurs. Fis-toi à ton instinct pour le trouver. C’est important d’être bien dans sa relation avec un psy et d’avoir confiance (je dis ça en ayant moi-même des problèmes de confiance pour des raisons beaucoup moins graves que les tiennent donc je sais que c’est facile à dire et pas facile à faire).

    Si tu as besoin de parler, tu peux m’envoyer un mail. Je sais qu’il est parfois plus facile de parler à un inconnu. Je suis une jeune femme de 24 ans qui sait être à l’écoute 😉 Donc si jamais : enirtourenef.enrekhtoues@gmail.com

    Mais surtout, va voir un psy, c’est très important 🙂

  3. Comment une mère peut elle agir comme cela envers sa fille et ne pas songer à ses autres enfants qui sont peut être à protéger. C’est honteux. Aucun homme ne vaut la peine de sacrifier sa fille.

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