Même confinés, les mineurs étrangers restent isolés
Le confinement a changé le mode de fonctionnement de toutes les assos de terrain. À Utopia 56, les effectifs ont été énormément réduits. Maintenant, ils sont cinq à assurer sur le terrain, alors qu’avant on était au moins une vingtaine chaque jour. Ceux qui ne sont pas sur le terrain aident les mineurs isolés à distance. Comme moi.
Je suis référente du pôle mineurs et je ne peux plus être sur le terrain parce qu’à Utopia 56, toutes les missions des services civiques ont été suspendues à cause de l’urgence sanitaire. Ma mission est d’accompagner les mineurs qui arrivent seuls sur le territoire français à Paris, et qui ne sont pas pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance.
Un gymnase c’est pas une solution contre le virus
Depuis le début du confinement, la ville de Paris s’est engagée à mettre à l’abri tous les mineurs qui se déclarent au DEMIE (le dispositif d’évaluation de minorité). Jusqu’à la fin du confinement et indépendamment du fait qu’ils soient reconnus mineurs ou non. Un gymnase a été ouvert permettant la prise en charge des mineurs et la poursuite des évaluations de minorité. C’est une bonne nouvelle pour tous les mineurs refusés du dispositif, qui ne sont pas remis à la rue sans solution. Mais un gymnase n’est pas la meilleure solution d’hébergement pour freiner la propagation du virus.
Aussi, la Croix-Rouge a décidé de fermer les locaux du DEMIE au mois de mars. La seule option qu’il reste aux mineurs pour solliciter les services de l’Aide sociale à l’enfance est de se rendre dans un commissariat. Nous remarquons que, systématiquement, les mineurs isolés étrangers qui se présentent seuls dans les commissariats ne sont pas écoutés. La présence d’une personne adulte, blanche de préférence, est nécessaire afin de garantir la prise en charge.
En région parisienne, il y a plusieurs centaines de mineurs qui, après avoir été déclarés majeurs par le DEMIE, ne sont pas pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Ils sont dans l’attente d’une décision du juge des enfants afin de prouver leur minorité. Du fait de la précarité de leur situation, ils sont très affectés par le confinement. Avec la fermeture des lieux d’accueil et l’arrêt de nombreuses distributions de nourriture, ceux qui sont toujours à la rue sont encore plus démunis que d’habitude. Et les personnes qui pourraient les aider n’ont pas forcément les moyens d’être en contact avec eux ou de les identifier. Ça pose un gros problème d’isolement.
Une petite victoire le 15 avril
Au mois de mars, avocats et associations ont en effet signalé collectivement 200 mineurs en danger au Procureur de Paris. Par la suite, une action collective devant le tribunal administratif a été entamée avec l’objectif d’obtenir pour tous les mineurs isolés une prise en charge dans l’attente de l’examen de leurs recours devant le juge des enfants et la Cour d’appel. Des référés-liberté (nldr : « procédure d’urgence permettant d’obtenir « toutes mesures nécessaires » quand l’administration porte une atteinte grave à une liberté fondamentale ») fondés sur les atteintes graves aux droits des mineurs isolés étrangers à un hébergement et à une protection, à leur droit à la vie, à la dignité, à l’intégrité physique et à la santé, ainsi qu’à leur droit à l’accès au juge et à un recours effectif ont été déposés.
Une petite victoire. Le 15 avril, le tribunal administratif a ordonné à la ville de Paris d’héberger les requérants dans un hébergement adapté à leur âge et au Covid dans un délai de 48 heures. Les mineurs en recours ont pu intégrer le gymnase. Nous attendons de voir dans quelles conditions ils seront pris en charge par la suite.
Les jeunes se sentent un peu abandonnés
En attendant, un grand nombre de mineurs dépendent de nous, les associations. On assure une mise à l’abri grâce à l’hébergement citoyen ou au financement de nuits d’hôtel. C’est également le cas en temps normal, mais avec le confinement, la logistique est plus compliquée. Pour les mineurs hébergés dans des familles, l’incertitude liée à cette période peut être source de tensions. L’un d’eux a préféré partir après avoir entendu une dispute à son sujet. Et deux autres se sont retrouvés à la rue car leurs hébergeurs rencontraient des difficultés personnelles. Cependant, de nombreux hébergeurs continuent d’accueillir des mineurs sans conditions !
Même hébergés, le confinement continue à avoir de lourdes conséquences pour les mineurs isolés. Politis aborde leur situation dans différentes villes de France.
Je reste en contact par téléphone avec ceux que j’ai rencontré à Utopia 56. Ils se sentent un peu abandonnés. La plupart sont inquiets quant à leurs procédures et l’après confinement. Les audiences du tribunal pour enfants sont toutes reportées. Ils ont l’impression de perdre du temps, et voient leur 18 ans approcher.
La question de l’alimentation est également centrale. Les jeunes ont peur de sortir dans la rue pour se rendre aux distributions de nourriture. Et il faut redoubler d’imagination pour assurer à manger dans les lieux d’hébergement. Beaucoup ont faim, car ils n’ont qu’un repas par jour. Là ce soir, un jeune qui dort d’habitude dans la rue a obtenu une place dans un hôtel. Mais il a peur de sortir du couloir où il vit, puisqu’il a déjà été embêté depuis le début du confinement.
Certains n’osent plus sortir dans la rue
Ils ont aussi peur de la police ; pour les déplacements et l’autorisation à présenter en cas de contrôle. En général, les jeunes n’en ont pas. Donc on est inquiets qu’ils ne puissent plus se rendre aux distributions de nourriture. Plusieurs ont déjà eu des mises en garde de la part de la police. Hier, je parlais avec un jeune, aussi en hôtel, qui me demandait comment faire pour manger. Quand je lui ai envoyé les adresses des distributions, il m’a répondu : « Merci ma sœur, mais il y a les gens, la police beaucoup, ils demandent les papiers pour sortir de la maison, dehors beaucoup police. »
Moi qui suis à distance, les seules solutions que j’ai pu trouver jusqu’à maintenant sont soit de leur expliquer qu’il faut qu’il l’écrive à la main, mais c’est rare qu’ils aient du papier, soit de m’appeler s’ils n’arrivent pas à s’expliquer avec la police.
Le confinement a compliqué la vie des mineurs isolés, mais elle l’était déjà bien avant. Il y a trois mois, Mamadou, Mafing et Keita, des jeunes aidés par Utopia 56 nous partageaient leur quotidien dans SAMPLE.
De ce que je vois à Utopia 56, le problème des mineurs isolés en France est l’absence de prise en charge. Avec le confinement, il n’y a pas de remise à la rue. Mais ce que l’on craint, c’est la levée du confinement. Car tous les mineurs qui ont été évalués majeurs depuis le 17 mars vont être notifiés et remis à la rue.
Léna, volontaire en service civique, 23 ans, Paris
Crédit photo Unsplash // CC Tai’s Captures