Gabriel B. 18/12/2020

Gilets jaunes : je suis de la famille des « moins »

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Des Gilets jaunes, de notre rond-point, de nos manifs à Paris, j'en attendais beaucoup. Pour moi et pour tous les autres qui peinent.

Moi, j’appartiens à la famille des « moins ». Les moins bien logés, les moins souvent propriétaires, les moins luxueux, les moins bien soignés, les moins parfumés, les moins bien rasés, les moins bien habillés et, surtout, les moins écoutés. On s’est mis en colère, nous, les « moins ». Parce que tout le monde nous répétait en boucle qu’on était les plus polluants, les plus fainéants, les plus responsables du dérèglement climatique, les plus profiteurs.

Mais qui prend l’avion pour partir en vacances ? Et, surtout, qui se lève à 6 heures du mat pour gagner quelques centaines d’euros par mois ? Qui répare cinquante fois sa voiture, son téléphone ou sa machine à laver plutôt que d’en changer ? Ce sont les « moins », ceux qui ont moins. Et pour la première fois de ma vie, avec les Gilets jaunes, j’ai senti une faille qui s’agrandissait. Un moment où les « moins » allaient pour une fois pouvoir s’additionner.

C’est pour ça que j’ai rejoint un rond-point. Celui de Brézet, à Clermont. La première fois, je suis passé devant à moto. Je suis allé voir, me poser au coin du feu. Tous ces gens qui discutaient, c’était génial. Ça faisait tellement longtemps qu’on les attendait. J’avais l’impression d’être à l’heure. Je tenais le bon train. J’étais sûr qu’on allait faire un truc. Que nous, les « moins », on allait se faire entendre. Que j’allais récupérer quelques miettes d’euros, un peu plus de dignité. Ce n’était pas la révolution, j’attendais des petites choses qui pouvaient me changer la vie.

« Moins par moins, ça fait plus », non ?

Arrêter d’être sans cesse en alerte pour ne pas laisser passer l’occasion d’un petit boulot qui fera rentrer un peu de sous. Respirer. En fait, sur le rond-point, je voulais respirer et profiter un peu. J’ai même rejoint le blocage de la raffinerie de Cournon. Trois nuits à tout bloquer et à espérer. On échangeait. Il y avait plein de gens qui venaient de tellement d’endroits différents que c’était enrichissant.

Je suis même monté à Paris pour des manifs. Une fois à moto, deux fois en covoiturage. C’est dire, parce que Paris, d’habitude, j’y vais à peine une fois par an. Là, c’était trois allers-retours en un mois et demi. Je ne voyais pas la même chose sur les Gilets jaunes à la télé et dans la rue. Toutes les caméras regardaient cinquante personnes et en oubliaient dix mille. Peu à peu, j’ai perdu l’énergie, l’envie de continuer le mouvement. J’ai compris qu’à part prendre des coups de bâton et respirer du gaz lacrymogène on n’avait rien à espérer.

Ce récit est un extrait de notre livre Vies Majuscules – Autoportrait de la France des périphéries, aux éditions Les Petits Matins. Loin des clichés, c’est la France des invisibilisé.e.s qui se raconte. Une France qui a parfois du mal à finir le mois une fois les factures payées, qui n’a pas besoin qu’on lui dise de traverser la rue pour savoir que le travail est un précieux gage de survie ou d’émancipation, qui connaît le prix de la solidarité…  À retrouver en librairie. Et ici.

J’ai arrêté de manifester, mais je n’ai pas perdu mes convictions. Je pensais que tous les « moins » ensemble arriveraient à se faire entendre. À être écoutés. À l’école, j’avais appris une formule qui disait « moins par moins, ça fait plus ». Sur ce coup-là, ça ne s’est pas vérifié. On est toujours les moins écoutés.

 

Gabriel, 29 ans, salarié, Billom

Crédit photo Unsplash // CC Mihai Isaincu

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