Moi, 25 ans, éducatrice en banlieue et… heureuse de mon métier
Il y a quelques jours, j’ai vu Fracture, un film français de 2010 qui traite d’un sujet qui m’est très cher : les conditions d’éducation dans les établissements ZEP en banlieue, que certains qualifient de difficiles. Il y est question d’un élève de troisième scolarisé en Seine Saint Denis, très doué pour le dessin, qui perd l’usage de sa main droite suite à un accident. En parallèle, une jeune professeure d’Histoire arrive dans son collège pour y faire un remplacement. Ces deux protagonistes se retrouvent abandonnés par un système complètement obsolète et dérivent lentement vers la dépression, éprouvant un sentiment d’abandon grandissant. Ils sont amenés à faire de mauvais choix, faute de savoir comment s’y prendre pour s’en sortir. Les élèves confondent et se confondent en débats politiques, font des amalgames scandaleux et sont amenés à perdre le peu de respect pour leur prof car ils sont persuadés qu’elle est juive.
Je ne veux pas vous raconter le film, ni émettre une quelconque critique sur les tenants et les aboutissants, mais seulement vous faire part de mon sentiment. J’ai grandi dans ces banlieues difficiles, et j’en ai plus que marre que les médias n’aient de cesse de véhiculer une sale image des « gamins de banlieue ». Bien que je me doute que ce film ait été produit pour changer les mœurs, faire bouger les choses, il n’en est pas moins que l’image des banlieues en pâtit tous les jours.
Des élèves vraiment reconnaissants et aimants
J’ai toujours été très bonne élève, j’adorais l’école et j’ai eu une admiration sans faille pour certains de mes professeurs, qui m’ont permis de croire en mes capacités malgré le cruel manque de confiance que j’avais en moi. Et c’est tout naturellement que je me suis destinée à travailler dans le milieu. Je travaille depuis plus de cinq ans dans l’Éducation Nationale dans ces mêmes établissements ZEP et REP+. Je suis amenée à côtoyer certains élèves en manque de repères familiaux et institutionnels, ainsi que des profs fraîchement diplômés qui n’ont bénéficié d’aucune formation et qui, pour certains, ne savent pas comment s’y prendre.
Ce qu’il faut savoir, c’est que beaucoup de ces élèves de banlieue seront véritablement reconnaissants, sûrement parmi les plus reconnaissants et les plus aimants qu’un enseignant, conseiller principal et assistant d’éducation, personnel de direction et j’en passe, puisse rencontrer au cours de sa carrière. Ce sont eux qui penseront toujours à leurs profs de collège ou de lycée avec nostalgie et bons sentiments dans dix, vingt ou trente ans. Jusqu’à penser amèrement que certains de leurs enseignants ne méritaient pas qu’on « foute le bordel » dans leurs cours. Certes, en banlieue, certaines barrières déontologiques sautent. Les élèves sont souvent amenés à poser des questions aux adultes sur leur vie personnelle, car c’est comme ça qu’ils commencent à vous aimer, et à vous faire confiance. Mais cela ne permet-il pas de dépasser certains écarts culturels ou sociaux, qui créent des barrages de compréhensions entre enseignants et élèves ?
Jeune prof dans le bain tout seul
Certains me diront : « Les profs ne sont pas là pour se faire aimer. » Ok, je vous l’accorde. Mais je trouve inconcevable le fait de jouer sur les deux tableaux, à dire que « ces gamins de banlieue sont en manque de repères sociaux » pour ensuite leur refuser la possibilité d’en trouver à l’école.
D’autres m’ont déjà dit : « J’ai pas choisi d’enseigner là, j’aurais préféré rester chez moi, de toute façon dans cinq ans dès que j’ai tous mes points je me casse ! » Comment réagir face à de tels propos ? Oui, t’as juste envie de lui dire (ce qu’il m’est déjà arrivé de faire) : « T’avais qu’à pas passer ton concours… » La plupart des professeurs de banlieue s’insurgent devant l’attitude de certains de leurs collègues néophytes, sachant qu’il y a un turn-over plus élevé dans une salle de profs d’un établissement ZEP qu’ailleurs. Ce qui m’afflige, c’est que c’est précisément de cette attitude que naissent toutes les idées reçues sur les profs qui ne bossent pas assez, qui sont trop en vacances, qui font tout le temps grève, et j’en passe. Et pourtant, de mon point de vue, c’est un métier qui demande un investissement personnel sans limites afin d’être fait consciencieusement. Il n’est pas seulement question de réciter un cours devant 20 élèves (car la plupart des français s’imaginent qu’un prof fait face à une petite poignée d’élèves, il n’en est rien, ils sont souvent bien plus que 20 par classes, même en REP+). La tâche est plus ardue, et cela demande beaucoup plus que ce que les profs en devenir apprennent à l’université, vu que l’IUFM n’existe plus vraiment. Hé oui, fini les stages de terrain encadrés et formations, rien qu’un tout petit mois de stage… Qui peut réellement croire que cela va suffire ? Maintenant, tu entres dans le bain tout seul, personne ne te tient la main. Est-ce si étonnant, donc, que l’institution s’effondre sur elle-même ? Que les nouveaux arrivants, blasés par une direction d’établissement souvent démunie, soient petit à petit démissionnaires ? Je ne pense pas.
Comprendre vraiment ce dont les élèves ont besoin
Je suis loin d’être une experte en la matière, mais voilà certaines choses que j’ai pu observer durant mes années de services au sein de l’Éducation Nationale, et les conclusions que j’en tire. Je ne peux m’empêcher de me demander comment changer les choses… Comment faire pour que ces élèves aient envie de se raccrocher à cette institution, parfois bancale mais, à mon sens, de par le fait qu’elle soit la seule obligatoire, ayant un potentiel salvateur. Et comment faire pour que les enseignants, ayant l’un des métiers les plus nobles qui soient, se sentent suffisamment épaulés pour ne pas finir à bout de souffle.
Je ne veux pas créer de polémique, la banlieue dans son sens large, à mon humble avis, ne va pas mal. Du moins, la question serait à approfondir. Mes propos sur la nécessité de pouvoir trouver des repères dans l’institution s’appliqueraient parfaitement à tous les établissements. Seulement, s’il est reconnu que des difficultés existent dans certains collèges ou lycées plus que dans d’autres, il me semble que les dispositifs mis en place par le gouvernement soient incomplets. Je pense que la solution tient aussi au social, à l’humain et à la capacité de compréhension d’autrui dont doivent absolument faire preuve les adultes employés par l’institution. Certes, l’importance de la répartition du budget d’un établissement, la DHG (Dotation Horaire Globale) votée par le Conseil d’Administration en début d’année, de même que les moyens déployés pour les établissements fraîchement classés REP+ ont une importance et une utilité à ne pas négliger. Malgré tout, les dispositifs mis en place par l’État ne m’ont pas l’air d’aller assez dans le sens d’une compréhension en profondeur de ce dont les élèves ont réellement besoin.
Je n’ai pas encore trouvé de réponses à mes questions. Mais j’ai l’espoir qu’un jour les choses changent, et que chaque élève fasse la rencontre qui, éventuellement, lui manquait pour sortir la tête de l’eau à l’instar des rencontres que j’ai pu faire. De même que pour les profs, les bons, qui trouvent le courage dans la réussite de certains élèves dont la plupart pariaient sur l’échec, et qui se disent que finalement, l’institution peut être salvatrice, même pour eux, en ZEP…
Mes pensées à Nicolas Idjellidaine qui nous a quittés il y a déjà trois ans. L’un des meilleurs profs que j’ai eu la chance d’avoir. Celui qui m’a sauvé dans l’une des périodes les plus difficiles de ma vie, en me donnant le courage de tout affronter la tête haute.
Nedjma Cognasse, 25 ans, enseignante, produit de banlieue un poil utopiste
Crédit photo Max PPP 2015