13 Novembre – Sept ans après
Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, la ZEP a organisé un atelier d’écriture avec les élèves d’une classe de première technologique du lycée Germaine Tillion, au Bourget, en Seine-Saint-Denis. Voici les réactions à chaud, à l’époque, de ces jeunes.
« T’entends les mortiers ? Y’a grave de l’ambiance ! »
Mon coéquipier de handball m’a appelé le vendredi après-midi. Il avait des billets gratuits pour le match France-Allemagne. « Ça nous changera d’air », il m’a dit.
Je suis arrivé un peu en retard au Stade de France. On a mangé des Pitch car ils étaient gratuits. En plus, c’était des nouveaux. Ensuite, on a monté les escaliers et Mohamed a raté une marche. Il s’est vautré par terre, on était morts de rire. Le vigile aussi. Du coup, on a fait connaissance avec lui. Puis, on a entendu ce gros « boum ». Mohamed m’a dit : « T’entends les mortiers ? Y’a grave de l’ambiance ! » Je me suis levé pour aller chercher des Pitch et j’ai revu le vigile qui nous a crié : « Courez, suivez-moi. » On s’est regardés et on l’a suivi.
Il nous a emmenés dans une loge bizarre avec des gens qui étaient tous en costard. On ne comprenait pas. Le vigile nous a dit de l’attendre, de ne pas bouger. Mohamed et moi, on était heureux c’était trop étrange de nous retrouver là, même si les gens nous regardaient de travers parce qu’on était moches, jeunes, et mal habillés. Mais on ne les calculait pas, on était en train de manger des chips devant un beau match de foot, au chaud et tout ça gratuit !
Aucun réseau sur notre téléphone pour prévenir les autres coéquipiers et mes parents de notre aventure dans la loge bizarre. À la fin du match, le vigile n’est pas venu nous chercher. Donc, on est parti. Et là, on voit beaucoup de policiers lourdement armés et cagoulés. C’est à ce moment-là que des gens nous ont dit : « Il y a des attentats. » Mohamed et moi, on n’a rien compris. On ne pouvait pas descendre et sortir du stade.
Fecat, 15 ans
D’habitude, les attentats, c’est dans des pays lointains
Je regardais le match avec mon père. C’était la fin et on voit tout d’un coup sur l’écran s’afficher « attentats ». Au début, je ne comprenais pas trop. Je me suis dit : « C’est rien, c’est comme d’habitude ce n’est pas très grave. » Je vais me coucher. Le samedi matin, je me lève et je vais voir les infos. C’est à ce moment-là que je comprends que la situation est vraiment très grave.
Ça s’est passé dans trois endroits différents qui sont près de chez moi. Ça m’a fait vraiment peur. D’habitude, c’est dans des pays lointains. Mais là, c’est à côté de chez moi. À ce moment-là, on reçoit beaucoup d’appels d’autres pays qui s’inquiètent pour nous. Et moi, je me souviens que j’avais des potes qui devaient aller au Stade de France. Je me mets à téléphoner aux autres pour savoir si tout va bien.
Devant moi, la télé était toujours allumée. Le chiffre disait « 129 morts » et je ne sais plus combien de blessés. Et puis, mon cousin m’a envoyé une photo du Bataclan avec beaucoup de morts et du sang partout. Les « 129 » de la télé, je commençais à comprendre qui ils étaient.
Shoups, 16 ans
Je veux voir les images choquantes pour prendre conscience
Je regarde le match France-Allemagne, heureux que la France gagne. Mais, j’attends aussi avec impatience que Secret Story commence, car ce soir, c’est la finale. Il y a de l’agitation dans le Stade de France. Les gens sont regroupés sur le terrain, je ne comprends pas. Une voix parle d’« attentats ». Je n’y crois pas.
Mon téléphone ne fait que vibrer. Je vois sur les réseaux sociaux qu’on parle d’« explosions », de « ceintures d’explosifs », d’« armes de guerre », de « terroristes »… des mots que je n’entends que dans des films. J’entends le nombre de morts : 5, 10, 19… cela n’en finit pas d’augmenter. Les messages qui me demandent si je vais bien inondent mon téléphone.
Devant la télé, je suis scotché. Je n’arrive toujours pas à réaliser. Je veux voir les images choquantes pour prendre conscience. C’est étrange, mais je veux voir les cadavres ! Je veux être confronté à la vérité. Dans ma chambre, dans mon lit, aucun bruit ne sort de ma bouche. Je n’ai pas de mots. Je reste là comme un bête devant la télé jusqu’à 2 heures du matin. Avant de dormir, il y a environ 60 morts. Je m’endors avec du dégoût pour ces gens qui étaient prêts à tout.
Bathuayi, 16 ans
Je me demande si je vais vivre la guerre, la vraie
Comme d’habitude, je prenais mon petit-déjeuner devant des dessins animés. Puis, je veux changer de programme et je tombe sur une édition spéciale « attentats ». Alors là, je n’ai fait que regarder la télé pour trier le vrai du faux et répondre au téléphone pour rassurer mes proches.
Je me demande si je vais vivre la guerre, la vraie, comme celle qu’on apprend dans les livres d’Histoire. Je n’ai pas spécialement peur pour moi mais pour la France. Peur qu’elle ne réussisse pas à surmonter les épreuves et qu’elle tombe dans le chaos total.
Jacques, 16 ans
Est-ce que nous sommes en sécurité en France ?
Au matin du 14, j’étais toujours sous le choc. Un ami m’a appelé car on avait prévu d’aller à République, la veille, pour voir le match… Au dernier moment j’avais changé d’avis. Trop fatigué.
Après son appel, j’allume la télé. Le nombre, je me souviens du nombre de décès. « 127 morts » au moment où j’allume la télé. Effrayant. Là, des idées passent dans ma tête : est-ce que nous sommes en sécurité en France ? Aujourd’hui, je n’ai pas la réponse.
Vers midi, je suis allé au garage d’un ami pour l’aider à bricoler. Toute la journée, nous n’avons fait que parler des attentats. À 23 heures, en rentrant chez moi, j’ai encore allumé la télé pour être au courant de l’actualité. Habituellement, je ne regarde jamais la télévision… mais là, j’étais intéressé comme jamais.
Pablo, 17 ans
Je ne me sens plus du tout en sécurité dans ce monde
Le lendemain des événements, j’avais prévu de faire les magasins avec ma meilleure amie Sonia. J’hésite beaucoup à y aller. J’ai peur, je stresse. Je suis devenue complètement parano depuis les attentats.
Arrivées à Paris Nord 2, on voit que c’est fermé. Je ne me sens plus du tout en sécurité dans ce monde. On décide d’aller quand même à Paris Nord. Et là, toujours fermé. La première fois de ma vie que je vois ça. Impressionnant. Je suis choquée. L’avenue est vide, les rues désertes. C’est tout bizarre. J’ai vraiment très peur.
Je n’ose plus sortir. Je ne regarde même plus la télé. Ça me saoule d’entendre toujours la même chose, ça me fait avoir encore plus peur. J’ai surtout peur de mourir.
Célina, 17 ans
Je suis tellement choquée que pour moi, c’est du fake
Samedi 14 novembre. Il est 18 heures. C’est l’heure de ma répèt’, à Saint-Denis, à côté du Stade de France. Je suis en voiture avec mon père. Et là, on constate les dégâts qu’ont causé les attentats la veille. À ma droite, le McDo fermé. Par terre, il y a du sang, des bouts de verre, des douilles et du sable. Plus loin, je vois plusieurs camions de pompiers, de police et même des scientifiques habillés en blanc. J’ai une impression bizarre.
Je suis tellement choquée par la situation que, pour moi, c’est du fake. Je décide de sortir de la voiture pour voir de plus près. Mais, les policiers me disent de remonter dedans. La ville est vide, déserte. J’ai l’impression que c’est la fin du monde. J’ai l’impression que je vais mourir à mon tour. Le ciel est tout noir, les voitures ne roulent presque plus, les lumières sont éteintes. C’est la première fois que je vois la ville comme ça.
Julie, 16 ans
La seule chose que je peux affirmer, c’est que j’ai peur
J’étais ahurie par le nombre de morts et de blessés. La veille, on était passés de 28 à 60, puis 67 morts. Je me réveille et je vois 129 morts, 300 blessés dont 99 grièvement. Je suis dans un cauchemar, je n’arrive pas à me rendre compte.
C’était bizarre cette situation. Je n’arrive pas à contrôler mes émotions. Je m’interdis d’avoir peur, mais je n’arrive pas à me sentir en sécurité. Pourtant, j’entends parler de la guerre et de la mort tous les jours. Mais ce jour-là, c’était en France, près de chez moi. Ce jour-là, je n’étais pas là, mon esprit était ailleurs.
La peur m’avait envahie, sans savoir comment y échapper, sans savoir comment me rassurer, comment réagir. Me méfier de tout le monde car le danger est toujours près de soi. Mais, comment me méfier dans un moment où nous devons être unis ? Pouvons-nous vraiment être unis quand on a peur et que la peur divise ? Est-ce que je dois faire comme si tout était normal ? Tant de questions sont passées dans ma tête, sans savoir comment y répondre. La seule chose que je peux affirmer, c’est que j’ai peur. Oui, j’ai peur, car ça ne fait peut-être que commencer.
Aliyah, 16 ans
Ma France, ma vie, blessées à balles réelles
Mon regard fixé sur mon bol de lait, plus je n’ai plus goût à la vie en voyant le nombre de morts et de blessés sans cesse augmenter. Comme les balles retrouvées. Ma France, ma vie, pourquoi ?
Je sors de chez moi, je suis interpellé par la désertion de ma rue. Au moindre bruit, la pensée des attentats terroristes revient. Dans ma banlieue, la diversité est présente, et le sera toujours. Comme cette haine envers les barbus.
Brahimi, 16 ans
J’ai continué à vivre
Je ne suis pas de nature « triste » mais, vu que ça touche la France, je me suis senti touché. Normalement, les attentats se passent dans les pays lointains, pas sous nos fenêtres. Je ne prenais pas trop au sérieux les attentats de Charlie Hebdo. Je me suis dit : « C’est passé, ça n’arrivera plus. » Mais j’avais parlé trop vite…
J’ai appelé ma famille, mes amis, mes proches pour savoir si tout allait bien de leur côté. Le lendemain soir, je suis allé manger à Saint-Michel avec une amie. J’ai continué à vivre ma vie, comme je la vivais avant. Je n’ai pas peur pour moi mais pour ma famille, pour mes amis, pour ma France.
Masako, 16 ans
Beaucoup de morts aussi au Kenya
Le monde est mobilisé, uni et donne l’impression d’être plus fort que jamais. Cet événement nous a tous rapprochés mais a aussi installé une grande peur entre les communautés.
Ce qui me choque quand même, c’est que l’an passé, il y a eu un attentat au Kenya. Mais, le monde n’en a pas parlé plus que ça. Pourquoi ? Peut-être parce que Paris parle plus au monde et fait rêver. Ou peut-être parce que Paris est une ville plutôt riche et touristique. C’est une question à laquelle je n’ai pas encore de réponse…
Sheïra, 16 ans
Je me sentais inutile, sur mon lit, à regarder BFM TV
Il n’y avait que 28 morts quand je me suis endormi. Au matin, ils étaient 129. J’étais très étonné par l’atrocité de ces crimes. Ils commettent ces attentats au nom de l’islam. Moi qui ai étudié le Coran, je veux rappeler un verset qui est destiné aux terroristes : « Celui qui tue un humain, c’est comme s’il tuait toute l’humanité. » Ce verset coranique parle de lui-même.
Je me sens inquiet et incapable, alors que je voudrais aider la France et les familles qui ont perdu des proches. Je me sentais inutile en dormant sur mon lit à regarder BFM TV.
Abdeloiab, 16 ans
Dans le Coran, il n’y a pas ce que disent les terroristes
En regardant la télé, j’ai cru que c’était un jeu vidéo. Ce n’était pas possible. En tous cas, pas Paris, pas la France. Moi-même, je suis musulman et, dans le Coran, il n’y a pas marqué ce que disent les terroristes.
Ils inventent des lois car ils veulent régner dans le monde entier. La religion, ce n’est pas ça. C’est la paix. Ce vendredi soir, j’ai eu envie d’être dans l’armée ou au Raid pour aider mon pays, la France.
Skandar, 17 ans
Sans cœur, ni âme, ni religion !
Les personnes qui ont commis ces attentats sont sans cœur, ni âme, ni religion ! Ces personnes prétendent être musulmans et pratiquer l’islam, mais en fait, ils ne connaissent rien. Je me suis dit que ça allait recommencer : des personnes vont insulter ou agresser verbalement une catégorie de personnes qui n’ont rien à voir avec ce qui s’est passé, les musulmans.
Alysah, 16 ans
J’ai peur, mais sans avoir peur
Aux informations, quand ils ont dit que les mesures de sécurité allaient être renforcées et les frontières fermées, je me suis dit qu’on n’allait plus vivre. Parce qu’ils nous transmettaient leur peur, et que tout était fermé.
Dans la rue, les gens regardent mal, parce qu’ils se méfient de tout. Maintenant, j’ai peur. Je me dis que je dois mourir un jour ou l’autre. Et ce sera comme ça ou autrement.
Saturne, 16 ans
Ils cherchent à nous diviser, ils n’y arriveront pas
Des personnes comme vous et moi ont été tuées alors qu’elles allaient tout simplement écouter de la musique, boire un verre entre amis. Ces personnes ont été blessées grièvement alors qu’elles ne s’attendaient pas à cela. Des innocents ! Ils ont été privés de leur liberté. Des mères, des pères, des frères et sœurs, des enfants, des étudiants… partis si tôt. J’ai le cœur lourd. La France est en deuil. Qui sont les auteurs, barbares, de ces actes terroristes ? Tuer au nom de l’islam, cela ne se fait pas. Ils n’ont rien compris.
Il y a huit ans, le collège d’Antoine a été la cible de l’attentat antisémite de Mohamed Merah. Cet événement a marqué sa vie à tout jamais.
Dans ma tête, c’est l’anarchie. Je pense à tous les amalgames qui seront lancés envers les musulmans, le risque de division qu’on encourt. Ne soyons pas bêtes. Dans ma ville du Blanc-Mesnil, dans le 93, je côtoie les musulmans. Pas besoin d’être médium pour voir et sentir que ce sont des gens bons, droits. Ces barbares qui se disent « défenseurs de leur religion » sont en réalité des manipulateurs, des abrutis qui cherchent à nous diviser, nous peuple français.
Pas de haine inutile. Ils cherchent à nous diviser. Montrons-leur que, malgré cela, nous sommes unis. Montrons-leur qu’ils n’y arriveront pas. Ils manient les armes de guerre. Avec la paix, la sagesse et la culture française, nous sommes plus forts que toutes les armes présentes sur cette terre.
Adémo, 16 ans
Crédit photo Hans Lucas //©Mehdi Chebil – Des gens nettoient un mémorial aux victimes des attaques du 13 novembre sur la place de la République. Paris, le 29 novembre 2015.
« Jour d’après », le making of
« On annule ? »
C’était ma première question lorsque je téléphone à l’enseignante partenaire du projet ZEP. Les attentats ont ensanglanté Paris, et dans quelques jours nous avons un atelier d’écriture prévu de longue date dans son lycée…
« Bien sûr que non ! », me répond-elle illico. Évidemment, pas besoin de chercher un thème : nous allons demander aux élèves d’une classe de première STMG d’écrire sur « le jour d’après ». Nous écrivons au tableau la phrase : « Mon 14 novembre. » Et là, vingt-cinq têtes se penchent vers leurs copies vierges pour les noircir fébrilement.
Ils ont des choses à dire, des sentiments à exprimer, une colère à expurger et des craintes à partager. Nous sommes ensemble. Tous ensemble, dans un moment rare comme seules les salles de classe et les adolescents peuvent en offrir dans ces circonstances exceptionnelles. Car, malgré les atrocités qui les ont assaillis, malgré la peur qui les étreint, malgré la proximité et l’empathie, ils nous ont proposé le regard de ce qu’ils sont encore parfois. Des adolescents plongés dans le tumulte du monde, mais aussi des enfants, au regard généreux et réconfortant.
Edouard Zambeaux, directeur éditorial de la ZEP