Sam B. 10/09/2021

Jeune enseignant, j’apprends sur le tas

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L'année dernière, Sam débutait en tant qu'enseignant. Sauf qu'il n'a pas été formé à gérer une classe et préparer un cours. Il a appris sur le tas.

Le concours dans la poche, après une année à travailler comme un damné, j’ai entamé ma carrière d’enseignant en tant que professeur d’histoire-géo en collège. Tout aurait dû rouler. À une exception près : je n’avais pas la moindre idée de comment préparer un cours.

Comme je n’avais pris connaissance de mes niveaux qu’à la fin du mois d’août, je n’avais pas pu préparer mes chapitres et séquences. Le gros du travail du prof ne se déroule pas devant la classe, mais en amont. Il faut arriver avec une préparation béton, en sachant pertinemment ce qu’on veut faire. Il faut aussi savoir comment transmettre, et c’est probablement le plus compliqué lorsqu’on commence. Faire cours, ça ne s’improvise pas.

Lors des premières préparations, j’étais un peu démuni. Je me suis retrouvé devant la Bible du professeur, le programme officiel. Mais il m’a plus servi de résumé des chapitres que de vrai support : les indications tenaient bien souvent en trois ou quatre lignes. Le site Eduscol, le portail des professionnels de l’éducation, explicitait un peu plus les chapitres et permettait d’y voir plus clair. Après ça, il fallait se retrousser les manches et fouiller dans les manuels, pas tous de qualité égale. Heureusement, on trouve plein d’idées de mise en œuvre sur internet, et les confrères sur les réseaux sociaux n’hésitent pas à aider.

Sur le papier, tout colle. En vérité… c’est un peu plus délicat

Si les écrits du Capes ont une demi-épreuve d’adaptation pédagogique, l’expérience de mise en œuvre pédagogique du savoir reste bien maigre. L’Inspé (institut national supérieur du professorat et de l’éducation) nous présente le déroulé-type d’une séance ainsi : une présentation du sujet du jour, une mise en activité des élèves, une correction, et la trace écrite qui sert de « cours ». Le tout censé tenir en cinquante-cinq minutes. Sur le papier, c’est super, tout colle. En vérité… comptez entre cinq et dix minutes pour installer tout le monde, faire l’appel et lancer le cours. Pour ce qui est de la courte présentation, là encore, course contre la montre, il faut faire comprendre l’activité en essayant de répondre aux questions. J’ai tendance à commencer l’exercice en retard, à le faire durer trop longtemps.

J’ai accumulé un retard qui m’a été reproché lors des visites et inspections. Le sens du timing n’est pas forcément quelque chose d’inné ! Et s’adapter à des ados non plus.

Cécile Chabaud est enseignante et vient de sortir Tu fais quoi dans la vie ? Prof !, un essai sur son métier. Elle décortique la rentrée des quelques 800 000 professeur·e·s au micro de France Inter.

 

Si lors de la partie « magistrale », on peut répondre aux questions, lorsqu’ils travaillent en autonomie, il faut s’assurer que tout soit à leur portée. C’est là le problème du jeune prof sorti de la fac : faire quelque chose qui corresponde à des ados et pas à des étudiants d’université. Il y a plein d’automatismes auxquels je ne faisais plus du tout attention. S’interroger sur l’auteur d’un document ou lire la légende d’une carte… ça nous semble évident, mais les gamins, ça leur passe au-dessus. Ils ont 12 ans, c’est bien normal.

Posez une consigne un peu floue, et la moitié ne comprendra pas. Vous aurez beau clarifier, chacun continuera à poser la question individuellement.

Comment être cool sans complètement se faire bouffer ?

L’imprévu, je l’ai retrouvé aussi dans la relation avec les élèves. Comment être autoritaire sans être trop sévère ? Comment être cool sans complètement se faire bouffer ? J’ai des souvenirs de profs trop sévères, voire carrément vaches. Alors je me disais que j’arriverais à tenir la classe en étant cool. Cependant, c’est une vision idyllique.

Je suis un « gentil ». J’ai l’autorité naturelle d’une crevette, et je suis aussi ferme qu’une plaquette de beurre. Donc quand ça se passait bien, ça se passait vraiment bien. D’autant que je reste un jeunot. Sur beaucoup d’aspects, je me sentais assez proche d’eux. Il n’était pas rare qu’un ou deux élèves restent me parler de jeux vidéo à la récré. Ça leur faisait plaisir qu’on ait cette culture commune. C’était très agréable, mais ça atténuait la distance qu’il faudrait techniquement avoir entre prof et élève.

Ce rapport peut devenir problématique quand un élève qu’on aime bien dépasse les bornes. J’aime le rapport cordial, voire complice, que j’avais avec une bonne partie de mes élèves, mais je me dis que ça aurait été plus simple de remettre de l’ordre dans mes classes dès le début. C’était délicat de se retrouver avec cette autorité qu’on ne maîtrise pas. Les quelques séances de gestion de classe de l’Inspé sont bien trop imprécises pour être vraiment efficaces. Les quelques conseils grappillés auprès des collègues sont souvent plus utiles.

Dans ma classe la plus difficile, j’avais un élève constamment dans la provocation. J’en ai discuté avec sa prof principale et l’élève en question a changé son comportement en comprenant que je n’étais pas son ennemi. S’il restait toujours aussi dissipé, il était beaucoup moins dans la provoc’.

Inconsciemment, nous avons tous les deux changé de regard sur l’autre et une étrange complicité existe entre nous aujourd’hui.

La formation d’enseignant n’est pas à la hauteur du terrain

La formation actuelle des enseignants n’est pas la plus pertinente. Le concours est très orienté vers la maîtrise scientifique des sujets. Trois questions d’histoire et trois de géo qu’il faut connaître sur le bout des doigts. C’est l’un des intérêts du métier que de pouvoir satisfaire la curiosité des élèves, mais je reste dubitatif quand je vois l’absence de volet pédagogique de la formation. Peut-être que nous faire ficher des chapitres sur la fabrication du parchemin au Moyen Âge était moins capital que de nous apprendre à construire une séance de cours…

On a bien un stage et quelques cours orientés pédagogie lorsqu’on prépare le concours, mais on est tellement concentrés sur nos manuels qu’on n’a tout simplement pas le temps.

Stagiaire, j’ai eu quelques séances intéressantes sur la conception de nos cours, mais ils sont arrivés si tard. Et les grands blocs de trois heures et les mémoires, je les ai plus ressentis comme du temps pris sur mes préparations de cours. Enfin, il faut ajouter qu’au-dessus de nos têtes planait le spectre de la titularisation. Au terme de cette année devait être décidé si nous allions devenir des profs confirmés et c’était une pression supplémentaire.

Nicolas enseigne la philosophie. Au quotidien, il expérimente un irrespect généralisé envers la profession qui le scandalise : « Que vaut la parole d’un « prof »  aujourd’hui ? Pas grand chose. L’abréviation ne révèle-t-elle pas déjà en elle-même le rétrécissement de l’image de la fonction ? »

Mon entrée dans le métier a été compliquée, mais… d’être professeur, j’y éprouve un très grand plaisir. C’est fatigant aussi : il m’est arrivé à plusieurs reprises d’entendre le bruit de la classe en fermant les yeux la nuit. Mais développer ce lien avec les gamins, répondre à leurs questions, les aider à réfléchir, ça n’a pas de prix.

 

Sam, 24 ans, enseignant, Garges-lès-Gonesse

Crédit photo Unsplash // CC Tyler Lagalo

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