Violences policières : j’ai porté plainte… à la police
Je mangeais dans un city stade avec des potes, pas loin de mon collège. Ils jouaient au foot et moi j’étais sur le côté. La police est arrivée et ils nous ont virés, en nous disant qu’ils avaient réservé le terrain pour deux heures pendant leur pause. Ils m’ont dit de ramasser les déchets sur le terrain, j’ai refusé et je suis parti. Ils m’ont insulté et, au même moment, l’un d’eux est sorti du terrain et est venu me voir. Il m’a dit de remettre mon masque. Je lui ai répondu que j’étais en train de boire donc il a pris ma canette, l’a jeté par terre puis m’a dit : « Maintenant que t’as plus de canette, remets ton masque ! »
J’ai cru que j’allais mourir
À ce moment-là, j’ai senti que cette histoire devenait dangereuse. Quand je me suis retourné vers la personne qui m’avait jeté la canette, j’ai senti qu’un autre homme derrière le grillage était en train de m’attraper par la capuche. Il l’a passée par le grillage pour m’étrangler. Je n’arrivais plus à respirer. L’un d’entre eux m’a attrapé le bras et un autre homme, que je n’avais pas vu venir, par le col.
Pendant qu’ils m’étranglaient, je ne sentais plus rien du tout. Je me voyais à la troisième personne. J’ai cru que j’allais mourir. Au moment où il m’a demandé ma carte d’identité, comme je ne l’avais pas, il a essayé de prendre mon carnet de correspondance dans mon sac. Quand j’ai dit à un pote de filmer, ils sont allés pour l’empêcher et m’ont relâché juste après. J’ai prévenu mon père, qui est allé les voir directement. Il s’est aussi fait insulter.
Les agresseurs étaient bien des policiers
Après, je suis reparti en cours mais je n’arrivais pas à me concentrer. J’avais l’œil gonflé, des griffes et des traces de ma capuche à cause de l’étranglement. Pendant les cours, ma mère est venue me chercher et on a porté plainte… à la police. On a attendu environ quatre heures et j’ai expliqué en détails ce qu’il s’était passé. J’ai juste parlé d’hommes, car je n’étais pas sûr que mes agresseurs soient des policiers. Celui qui a pris en charge la plainte avait l’air à l’écoute et tout à fait normal. Il m’a demandé de décrire les agresseurs et m’a montré des personnes sur son logiciel, mais aucun n’était le bon.
Le lendemain, les mêmes hommes qui m’avaient agressé au stade sont allés contrôler mon père dans son garage. Cette fois-ci avec leurs uniformes de police. Je ne sais pas comment ils l’ont retrouvé. Mon père les a reconnus directement. Quand j’ai eu cette confirmation, j’étais perdu et je ne me sentais plus en sécurité, car les hommes qui sont censés nous protéger étaient en fait bien mes agresseurs. Donc on est repartis au commissariat pour ajouter des informations à la plainte, qu’on avait eu la confirmation que les agresseurs étaient des policiers. Cette fois, le policier semblait plus froid. Il a quand même pris la plainte.
Six ou sept rendez-vous chez une psychologue
Ils nous ont dit que j’allais avoir plusieurs rendez-vous avec des psychologues et des médecins qui vont regarder mes blessures pour voir si c’était grave ou pas. Ce rendez-vous-là, on ne pouvait pas le prendre nous-même, c’était à la police de faire ça. Mais ils ne nous ont pas pris ce rendez-vous chez le médecin.
J’ai quand même vu une psychologue six ou sept fois, une fois par semaine. Elle m’a expliqué ce qui se passait dans ma tête et m’a dit que c’était normal si j’étais méfiant et si j’avais des flashs. Elle m’a ensuite rassuré, car ce que je ressentais était normal et que ça finirait par partir. Elle m’a donné un médicament censé me détendre, que je devais prendre le matin et le soir.
Après ça, on n’a plus eu de nouvelles de cette histoire. Pourtant, les policiers nous ont dit qu’ils allaient faire leur possible et qu’ils n’allaient pas se sauver entre eux. Mais apparemment, ils ont tout fait pour cacher cette histoire.
Je ne fais plus confiance à la police
Aujourd’hui encore, quand je marche, je surveille toujours derrière moi et je me méfie quand je vois un groupe de personnes qui fait du sport, car je ne peux pas savoir si c’est eux ou pas. Maintenant, j’ai déménagé, donc je passe moins souvent par là. Mais je ne fais plus confiance à la police, parce que je sais que les hommes qui m’ont agressé ne sont pas les seuls policiers à être comme ça. C’est arrivé à beaucoup de monde et aussi des gens qui ont été tués par la police, j’ai vu ça aux informations.
Dans le quartier de Maïmouna, tout le monde connaît quelqu’un qui a été témoin ou victime de violences policières. Elle estime que c’est à sa génération de donner de la voix.
Au début, je pensais que ça n’arrivait qu’aux autres, mais comme je l’ai vécu, je sais maintenant que ça arrive plus souvent que ce que je pensais. Je n’arrive pas à me dire que si je suis en danger et que j’appelle la police, c’est peut-être des gens comme eux, voire pire, qui vont m’aider. Le pire dans tout ça, c’est qu’ils n’ont rien eu. Je suis sûr que si ce n’était pas des policiers, ils auraient eu des problèmes.
Rida, 13 ans, collégien, Lille
Crédit photo Hans Lucas // © Théo Giacometti
Les sanctions dans la police
Les sanctions dans la police sont de moins en moins nombreuses chaque année
Depuis 2009, le nombre de sanctions dans la police a été divisé par trois. Ces sanctions sont majoritairement prises en interne… et elles sont moins nombreuses les années d’élections professionnelles.
Les sanctions portent rarement sur des actes de violence
Parmi ces sanctions, l’immense majorité concerne des cas de conflits avec la hiérarchie ou de désobéissance. Seulement 4% des sanctions sont en lien avec des violences commises. Quand les policier·e·s sont sanctionné·e·s, c’est donc rarement pour un comportement envers la population.
Les sanctions graves sont peu appliquées
Concernant les cas de violences envers la population, plus de la moitié des sanctions se traduisent par des avertissements et des blâmes. En dix ans, seuls 77 policier·e·s ont été exclu·e·s.