J’ai préféré la fuite au mariage forcé
À mes 16 ans, en pleine nuit, j’ai eu une discussion avec ma mère. Elle m’a dit qu’avant ma naissance, elle avait promis ma main au fils de mon oncle. Avant même de naître, je n’avais déjà pas mon mot à dire sur ce mariage forcé.
Quand je suis partie au pays, à l’âge de 13–14 ans, ma mère a voulu me marier avec mon cousin. Ça ne s’est pas fait car ma tante est intervenue, en disant que j’étais trop jeune, et pas assez mature. Moi, à l’époque, je n’en savais rien. Ma mère me l’a raconté bien plus tard. Elle m’a dit que la famille aurait fait la fête, que ça aurait été un moment convivial et qu’on aurait tous été heureux.
Je lui ai répondu : « Qui te dit que moi je veux ça ? Un mariage forcé avec quelqu’un que je ne connais pas … ? » Je lui ai expliqué que je n’accepterai pas. Elle a alors cherché à savoir si j’étais avec quelqu’un. J’ai répondu que non, que ça n’avait rien à voir : « C’est juste que je ne veux pas, j’ai pas envie de me marier avec quelqu’un que je ne connais pas ! »
Mais ma mère n’a pas compris ma réaction : « De toute façon, c’est nous qui décidons. C’est quelqu’un de bien, qui est pratiquant, et dans la religion. » À ce moment-là, j’ai compris que je ne pourrais pas y échapper, que ça allait continuer, que mes parents n’allaient pas changer d’avis et qu’ils finiraient par m’obliger à me marier avec cet homme.
Je devais être « la poupée de cire »
Chez mes parents, je n’avais pas le droit d’avoir des amis garçons. Pour ma mère, ça voulait tout de suite dire que j’allais sortir et faire des trucs avec eux… Mes amies filles, il fallait qu’elles soient religieusement « correctes », c’est-à-dire qu’elles portent le voile ou qu’elles viennent de ma culture.
Mon père était très sévère sur la religion. Par exemple, quand je faisais mes cours d’arabe, il fallait presque que je connaisse le Coran par cœur. Pour ma mère, il fallait que je mette uniquement des vêtements amples. Elle voulait que je porte un jilbab, une sorte de robe vraiment ample où on ne voit vraiment rien. Mes parents m’imposaient aussi le voile. Je me suis disputée avec eux plusieurs fois. Je n’étais pas pour ou contre le voile, j’aurais juste voulu avoir le choix.
Pour les sorties, mon père voulait bien que je sorte, mais ma mère non. Je devais rester à la maison, m’occuper de mes sœurs… Pour les anniversaires de mes amies, c’était compliqué. Quand c’était le soir, je disais non direct, je savais que ça n’allait pas être possible. Je ne pouvais sortir que pour étudier à la bibliothèque, ou pour accompagner ma mère à des rendez-vous administratifs parce qu’il fallait que je traduise. J’étais obligée de trafiquer mon emploi du temps pour pouvoir voir mes amis en dehors du lycée. Mais je faisais attention de rester dans le périmètre, au cas où.
Je devais être « la poupée de cire », l’enfant parfaite. Parfois, ma mère me tendait des pièges pour me tester. Par exemple, pour savoir si j’avais déjà bu de l’alcool, elle me demandait : « T’en penses quoi du goût de la bière ? » Je lui répondais que je n’en savais rien, que je n’en avais jamais bu.
Ça me pesait tellement ! Quand j’osais me « rebeller », quand je « pétais des câbles » parce que je n’en pouvais plus, ma mère me traitait de « petite diablesse ». Parce que j’osais lui répondre, et que je ne me laissais pas faire.
Au pire, je divorcerai plus tard…
Quelques jours après cette discussion avec ma mère sur le mariage, j’en ai parlé à une amie qui m’a conseillé de partir. Mais, étant mineure à l’époque, je ne savais pas comment faire. Mon amie s’est renseignée pour moi, et m’a donné plein de pistes et d’infos. Je ne me suis pas lancée tout de suite. Il fallait vraiment que quelqu’un me prenne par la main, m’accompagne dans ces démarches, et me dise que je ne serai pas toute seule là-dedans. Je pensais tout le temps partir, mais je finissais toujours par me dire : « C’est pas grave, laisse-toi faire, fais ce qu’ils te demandent. Au pire, tu divorceras plus tard. »
Après les épreuves du bac, on devait partir au pays avec mes parents. J’avais 18 ans et je savais que, là, je n’allais pas pouvoir y échapper. Alors, le dernier jour du bac, en juin 2016, je suis partie de chez mes parents et j’ai choisi de couper les ponts. À l’époque, on était en plein mois de ramadan. Je suis partie en sachant que je n’allais plus les revoir. Pour moi, c’était des adieux.
Avant mon départ, j’étais encore pleine d’hésitations. Mon copain de l’époque avait « pété un câble » quand je lui avais parlé de ma vie avec mes parents. Il m’avait tout de suite dit : « Quitte tes parents, et viens vivre avec moi. »
On a pris rendez-vous avec l’assistante sociale de mon école pour organiser mon départ. En attendant, je prenais mes vêtements petit à petit pour les amener chez mon copain. Ma mère m’avait chopée une fois, et je lui avais dit que c’était pour une amie. J’ai eu super peur, mais mon CPE, que j’avais mis au courant, m’avait dit qu’il me couvrirait si elle venait au lycée. C’était très compliqué, car il fallait que je récupère des documents chez mes parents, vu que je n’étais pas née en France et que j’avais été naturalisée. Au final, j’ai dit à mes parents que j’avais besoin de ces documents pour le bac, et j’ai réussi à tout récupérer.
« Ils sont en train de te manipuler »
Pendant toute l’épreuve du bac, je me suis demandée si j’allais vraiment partir, jusqu’à la dernière minute. Finalement, j’ai envoyé un message à ma sœur pour lui dire de prévenir ma mère que l’épreuve allait se terminer un peu plus tard. C’était un mensonge pour me laisser le temps de m’éloigner de Paris, sans croiser des gens qui auraient pu alerter mes parents. Si quelqu’un m’avait vue à un endroit, ils auraient eu plus de pistes pour me retrouver. Je suis partie en leur laissant un message qui expliquait que j’allais vivre à Nice, pour faire des études de dessin. En réalité, j’allais rester en Île-de-France, mais je ne voulais pas qu’ils me cherchent ici.
Je suis allée vivre chez mon copain de l’époque. J’avais coupé la puce de mon téléphone, car je savais que sinon, mes parents allaient me harceler. Plus tard, on s’est un peu parlés, mais seulement par mail. Ils m’envoyaient plein de messages, des pavés où ils me disaient qu’ils ne comprenaient pas, que je les avais déçus… Ils pensaient que j’étais partie pour un garçon, sans comprendre toute la pression que je vivais chez eux.
Après, ils ont essayé de me convaincre de revenir à la maison. J’avais aussi une amie qui me disait de leur reparler, que ma mère pleurait beaucoup… Du coup, j’ai décidé de les revoir. Quelques jours après, j’ai accepté de revenir à la maison. On a établi de nouvelles règles, où j’étais autorisée à faire plus de choses.
Je pensais que les choses allaient changer. Mais au bout de trois jours, mon copain m’a dit : « Réveille-toi ! Ils sont en train de te manipuler. Tu te fais avoir. » C’est là que j’ai ouvert les yeux. J’ai donc repris mes affaires, et je suis repartie ! J’aurais aimé que mes parents comprennent tout le mal-être que je ressentais, tout ce que je vivais, tout ce sur quoi ils avaient fermé les yeux. Après ça, ils ont décidé de partir vivre en Angleterre. Ils ne voulaient pas que mes petites sœurs soient influencées par moi.
Mes parents ou ma liberté
Depuis, je ne les ai plus du tout revus. Pendant longtemps, mon père a interdit à ma mère et mes sœurs de me parler. Mais elles le faisaient quand même, surtout ma deuxième sœur. Lui m’avait complètement reniée. C’est seulement cette année qu’il m’a envoyé un message pour mon anniversaire, et ça m’a vraiment surprise.
La pression familiale peut rapidement mener à des situations très tendues. Lulu a avoué sa bisexualité à sa mère, et depuis, c’est la guerre froide.
Je suis toujours dans cet entre-deux. J’ai envie d’aller voir mes parents et, en même temps, j’ai peur. Je suis perdue. Plusieurs filles de ma communauté ont aussi fugué. À l’époque, ma mère avait dit de leur tendre une embuscade pour qu’elles reviennent chez elles. Qu’il fallait les enfermer pour qu’elles ne puissent pas repartir. Il y a même une de mes amies qui, une fois revenue, s’était fait massacrer par son père. Du coup, j’ai peur que quelque chose comme ça m’arrive si je vais voir mes parents en Angleterre.
Je ressens quand même le besoin de continuer à avoir des liens avec eux. Mais j’ai aussi besoin de ma liberté. J’essaie d’accepter que je ne pourrai jamais avoir les deux.
Mohana, 23 ans, étudiante, Paris
Crédit photo Unsplash // Kevin Quezada
Le mariage forcé
12 millions de mineures sont mariées de force dans le monde chaque année
Même si les chiffres baissent depuis dix ans, ils restent effrayants : une fille de moins de 15 ans est mariée toutes les sept secondes. Aussi victimes de ce phénomène, les garçons mariés de force ne sont pas comptabilisés.
Le mariage forcé expose à d’autres violences
Le mariage forcé est déjà une violence, puisqu’il a lieu en l’absence du consentement des principaux et principales intéressé·e·s. Il expose aussi les victimes aux violences psychologiques, physiques et sexuelles au sein du foyer. En droit français, le mariage forcé est d’ailleurs une circonstance aggravante pour les auteurs et autrices de ce type de violences.
Les principales victimes sont déjà précaires
Selon l’Unicef, le mariage forcé est plus fréquent dans les familles exposées aux guerres, à la pauvreté, et chez les filles privées d’éducation scolaire.
Ma petite amie Vit ça actuellement elle est forcé par sa mère et nous ne savons pas quoi faire
Merci Mohana, pour ce témoignage. Je suis une « vieille dame » pour vous, (55 ans) mais en 1983 une de mes amies a quitté le domicile de ses parents pour échapper à un mariage forcé. Je l’ai connue l’année d’après sa fuite. À l’époque ce sont ses amis qui l’ont faite fuir tout a été organisé par les jeunes, le rendez-vous à vélomoteur, l’hébergement, etc. Les adultes autour (les profs) n’ont réagi que dans un deuxième temps.
Aujourd’hui, j’ai perdu cette amie de vue, mais je l’ai cotoyée à l’âge adulte et elle a construit une vie riche et équilibrée. Je vous souhaite de trouver une famille amicale sincère qui pallie la déchirure que vous avez vécue. Vous avez eu beaucoup de force, c’est sûrement fondateur. Dans tous les moments difficile de votre vie vous saurez que vous pourrez compter absolument sur vous-même. Je vous envoie mon admiration, et vous souhaite le meilleur.