La violence de mon quartier m’a laissé des séquelles
Un samedi, je me promenais : je suis tombée nez à nez avec une rixe. Elle concernait des membres de mon quartier et ceux de Montreuil. Je suis passée le plus loin possible. Mais un garçon que je connaissais m’a interpellée et m’a demandé de les aider car je faisais du rugby. Je me suis enfuie en courant pour y échapper. Mais c’était trop tard : le « camp adverse » m’avait vue et avait reconnu mon visage.
Une semaine après, en rentrant de l’école, deux jeunes hommes m’ont attrapée et poussée derrière les escaliers qui permettent d’accéder à mon immeuble. Je me disais qu’ils se trompaient de personne et qu’ils allaient me laisser repartir tranquillement, mais non. Ils ont commencé à m’insulter, à me dire que j’avais choisi le mauvais camp : le camp des faibles. Puis, ils m’ont fait tomber à terre et m’ont rouée de coups jusqu’à mon visage. Ils sont partis au bout de dix longues et interminables minutes.
J’avais 8 ans.
Les conséquences de ces actes m’ont laissée pratiquement sourde de l’oreille gauche, avec un acouphène constant dans l’oreille droite. En rentrant à la maison, ma mère a vu mon état et m’a demandé si je m’étais encore battue à l’école. Je lui ai dit que non, et lui ai donné l’excuse qu’un des garçons du rugby m’avait plaquée violemment. Ce qui expliquait mon oreille qui saignait, mon début de cocard à l’œil et ma lèvre inférieure en sang.
Encore une fois, je me suis enfuie en courant
Peu après cet incident, ma mère s’est fait agresser à son tour à quelques mètres de notre immeuble. Je me souviendrai toujours de son visage apeuré, en sanglots. À ce moment-là, j’étais chez ma « nounou » qui habitait dans le même immeuble que nous. Ma mère lui a raconté dans les moindres détails. Les deux hommes lui avaient volé le plus gros sac. En la plaquant au sol, ils n’avaient pas vu son petit sac à main avec sa CB, son permis de conduire, sa carte d’identité… Nous sommes allées porter plainte le soir-même. Les agresseurs n’ont jamais été retrouvés.
J’avais aussi entendu une rumeur dans mon école qui parlait de combats de chiens organisés par des gars de mon immeuble que je connaissais bien. L’un d’eux avait un « élevage » de Staffs [American Staffordshire Terrier]. Un jour, j’ai rejoint un pote pour jouer et je suis allé chercher un ballon dans le garage sous-terrain. On a rencontré deux molosses sans vie à moitié cachés sous des voitures. C’était donc dans ce garage que les combats avaient lieu. Mon pote m’a dit de dégager vite fait avant que les grands ne tombent sur nous et qu’on ait de sérieux problèmes. Encore une fois, je me suis enfuie en courant.
Je ne sais pas si elle a survécu
Une autre fois, ça faisait déjà plus de trois semaines que des rodéos urbains avaient lieu sur la route devant chez moi. Alors que j’étais sur le chemin du retour de l’école, une course entre une motocross et un quad a démarré à une dizaine de mètres de moi. J’attendais au passage piéton. La moto a fait une roue arrière et a percuté la vieille dame de plein fouet. Elle est tombée au sol, et le conducteur s’est relevé et a pris la fuite.
Des gens se sont attroupés autour. Du sang coulait de sa tête, elle ne réagissait pas. Elle revenait sûrement des courses car elle avait un Caddie rempli avec elle. J’étais tellement terrifiée que je n’ai pas bougé de ma place, toujours sur le trottoir d’en face. Je me souviens qu’une femme criait de laisser un espace entre la dame et la foule pour que seulement deux personnes essaient de lui parler.
Lorsque les pompiers et policiers sont arrivés, j’ai pris la fuite, pensant que j’avais fait quelque chose de mal. Arrivée chez moi, encore en état de choc, j’ai tout raconté à ma mère. Je ne sais pas si cette dame a survécu.
Ma vie d’avant a laissé des traces
Un jour, j’étais avec une amie et sa mère dans mon quartier. On devait aller au parc et, au moment de passer entre deux immeubles, mon amie a trébuché sur un petit tas de seringues usagées. Sa mère s’est affolée et m’a expliqué qu’elles ne servaient pas à faire des vaccins. Elles sont très dangereuses et peuvent transmettre des maladies très graves. Je suis donc passée d’une joie d’aller au parc à exploser en sanglots, pensant que mon amie allait mourir d’une maladie. Elle m’a raccompagnée et a foncé à l’hôpital. J’ai appris quelques jours après qu’elle allait bien.
Dans le quartier de Youssef, on se bat depuis plusieurs générations. Pour la réputation, et pour l’honneur.
À 11 ans, j’ai déménagé dans une ville calme sans problème et plus sereine, avec des lampadaires et tout. Le problème, c’est que ma vie d’avant a laissé beaucoup de traces. J’ai vraiment beaucoup de mal à faire confiance aux gens.
On dit que je suis stressée de la vie. Quand j’étais au collège, ça se remarquait par de l’agressivité et de la brutalité envers les gens. J’essaie maintenant de me contrôler mais il m’arrive encore d’avoir des crises que je ne peux pas maîtriser. Mais j’ai su trouver quelques personnes en qui je peux avoir confiance et qui me soutiennent constamment.
Émilie, 15 ans, lycéenne, Paris
Crédit photo Unsplash // CC Joshua Rawson-Harris
Les violences dans les quartiers
Les violences sont plus nombreuses en QPV
Il y a globalement plus de violences dans les quartiers prioritaires (QPV) que dans le reste de la France. Il faut quand même nuancer cette réalité : certains délits, comme les escroqueries bancaires, les vols sans effraction ou les injures sont moins répandues dans les quartiers.
Ce n’est pas qu’une responsabilité individuelle
Cette violence n’est pas une fatalité : c’est le résultat d’une suite de politiques publiques. Les QPV sont les territoires où les niveaux d’emploi, d’éducation et de revenus sont les plus bas. Ces conditions de vie sont à l’origine de beaucoup de formes de violences.
Les politiques n’ont pas de solution
En pleine campagne présidentielle, Valérie Pécresse a proposé une mesure pour réduire la violence dans les QPV, mais elle est répressive et inconstitutionnelle : elle veut que les peines soient plus sévères pour les délits et crimes commis en QPV.