« Tu crois que ça tiendra, tous ces plans qu’on fait maintenant ? »
Parfois, je m’arrête quelques instants, au milieu des autres. Juste pour essayer de prendre le temps. Le temps de réfléchir, le temps de nous regarder, nous. Nous, les presque-adultes. Nous, les plus-vraiment-enfants. J’ai dix-sept ans, et dans huit mois maximum, une nouvelle vie va commencer. Sauf accident de parcours, sauf problème de dernière minute. Sauf ça. Et ça me fait rire.
Sûre de ce que je ne veux pas
J’ai de la chance et je le sais. Ce n’est sûrement pas à moi qu’on fermera des portes. Parce que je suis une bonne élève, parce que personne ne se fait vraiment de soucis sur le fait de savoir si je vais ou non avoir mon bac à la fin de l’année. Parce que ma famille ne me met aucune pression sur les épaules. Mes amis croient en moi et mes projets.
Des projets. C’est ce qu’on nous demande tout le temps, en ce moment. De nous projeter. « Et puis quand même, choisis bien ton orientation, hein. T’es sûre que tu veux pas faire prépa’ ? » Non, merci. Je suis à peu près sûre de ce que je ne veux pas. Mais je suis aussi à peu près sûre d’autre chose : c’est que plus rien n’est certain, de nos jours.
Un sale coup dans la tronche
On nous, presse, nous, à ne pas faire d’erreurs en rentrant nos choix sur APB. Alors qu’on n’est sûrs de rien. Qui sait, après tout ?
Depuis qu’on est en âge de comprendre un peu l’actualité, ça ne fait que parler de crises économiques. Mon adolescence a été bercée par les morts annoncées à l’autre bout du monde, à la télé. Pour faire simple : à partir de 2012, mon monde et le monde ont sérieusement pris un sale coup dans la tronche. Cette année-là, j’ai appris que j’étais malade. Et je me rappelle encore de ce jour où, en sortant de l’hôpital, de Purpan, à Toulouse, je suis passée chez mon frère aîné. Pendant de longues minutes, le silence. Parce que sur les chaînes d’infos en direct, on pouvait assister à un assaut qui avait lieu à l’autre bout de la ville. « L’affaire Merah, ça t’dit rien ? »
J’ai fini par l’articuler cette marseillaise
En quatre ans, j’ai eu le temps de passer par tous les stades. Et puis l’année dernière, ça a commencé à aller mieux. Parce que cette espèce de dépression que je me traînais en silence et derrière un grand sourire, elle s’en était allée. Et puis 2015. Sept jours après ton arrivée, chère 2015, ça a commencé. Il y a eu Charlie, le musée Bardo en Tunisie, la Germanwings, l’attaque d’une université au Kenya, le séisme au Népal, les kurdes massacrés à Kobané, les migrants naufragés par centaines, des attentats à Ankara, le double attentat-suicide à Beyrouth suivi de la nuit du Bataclan. Et la liste n’est pas exhaustive, loin de là.
Je nous revois encore, au lendemain du 13 novembre, au milieu de la cour de mon petit lycée de campagne. Quand sous le coup de l’émotion, on a fini par pleurer. Sous le coup de l’émotion, au milieu des autres, j’ai fini par l’articuler, cette Marseillaise que j’avais toujours refusé de chanter. J’ai pleuré et j’ai chanté. Et j’ai gueulé, aussi. Parce qu’on a tenu à nous traiter comme des adultes dans un moment où on était tous redevenus des enfants. Un peu perdus, un peu paumés. En colère, sonnés. C’était loin, et pourtant, c’était tout près.
Je sais que je vais devoir me battre
On ne nous promet pas grand-chose de bon, on l’a compris. Et cela devient dérisoire de me demander si je ne préfère pas faire khâgne plutôt que de partir à la fac. Parce que de toute façon, mon vieux, je le sais que je vais devoir me battre. Je le sais bien.
Bizarrement, je continue d’espérer. On nous promet un monde de merde, pas besoin de chercher à dire les choses autrement. Mais je vois des connaissances, des gens de mon âge, s’engager politiquement. Des gens qui bataillent, à leur échelle, pour lutter contre un système pré-imposé. Je vois mes amis s’offusquer de la montée de l’extrême droite, mais je me demande pourtant si, quand l’heure et la majorité viendront, ils seront réellement capables de se lever. J’ai de l’espoir. Qu’on ne sera pas une génération d’abstentionnistes dégoûtés par la société au point de ne plus rien vouloir faire pour la rattraper.
D’un côté, il y a ce passé qu’on se traîne. Et puis de l’autre, ce futur incertain. J’en sais rien. J’en sais rien, moi, de ce qui va arriver. Est-ce qu’on va avoir une guerre ? Est-ce qu’on va s’entre-déchirer ? Est-ce qu’on va se retrouver dirigés par des gens à qui on est en train de préparer un joli terrain, en enchaînant ces lois liberticides ? « Et puis, tu crois vraiment que ça tiendra, tous ces plans qu’on fait maintenant ? »
Valentine B., 17 ans, lycéenne en terminale L, Lavaur (Tarn)
Crédit photo Paramount / Into the wild
Quelle maturité dans ce texte, si bien écrit au demeurant ! On y sent de la désillusion et en même temps, de l’espoir. Ce qui frappe surtout, c’est ta lucidité. Tu as raison d’espérer malgré tout, raison de ne pas céder à la pression qui nous est imposée, qui veut qu’on se décide au plus vite, qu’on se jette dans le précipice en croyant avoir fait un choix raisonné. Je te souhaite de t’épanouir dans la voie que tu as choisie ; et de garder espoir quoi qu’il arrive.
Bonjour Valentine,
Je suis journaliste, j’ai lu ton article avec beaucoup d’intérêt. Serait-il possible de se parler en privé s’il te plaît ?
Tu peux me contacter par mail : l.bernard@elephant-cie.com
Merci d’avance,
Louise Bernard
On est sans doute pas mal à penser comme ça, mais pas assez à le dire.
J’ai 17 ans moi aussi, et franchement je pense exactement comme toi…
Merci à toi Léa !
Je crois fort dans le fait que notre génération pourra peut-être relancer les choses, si nous prenions tous le temps d’agir à notre échelle… Nous sommes peut-être une majorité silencieuse, mais c’est sûrement le moment de ne plus être si discrets que ça !
Merci à toi aussi Hubert ! On aura surtout besoin d’un peu d’espoir, mais ça me fait chaud au coeur !
Superbe texte! Quelle maturité! On aura besoin de beaucoup de Valentine pour assurer notre avenir…
Très bel article.
Je te souhaite de trouver la force de partager ton envie ton espoir et ce, tout du long de ta vie, tu n’es pas seule car
Nous sommes les 99%