Barry Amadou B. 14/03/2022

2/2 En exil, ma famille au bout du fil

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Barry Amadou passe toutes ses nuits au téléphone avec celles et ceux qui sont resté·e·s en Guinée. Lui est parti pour échapper à la prison, à la torture et à la mort.

Avec ma famille, on s’appelle chaque nuit. « Tu vas bien, tu as mangé, tu fais quoi, tu dors bien ? Tu me manques mon enfant, prends soin de toi. Ton cousin a pris ta voiture, tes petits frères sont en vacances à Dubaï, ils rentrent bientôt. Ils veulent te voir. Tu fais encore de la politique ? »

Parfois, on m’appelle, je décroche et personne ne parle… Mais c’est juste pour savoir que je suis en vie. La nuit, même si j’ai envie de dormir, je ne peux pas. La nuit me sert à me balader, à me souvenir, à cuisiner et surtout… à échanger avec ma famille. Je peux ne pas manger tous les jours, mais il faut que j’entende leurs voix toutes les nuits. Même si la connexion n’est pas très fiable.

Je menais une vie normale avant de venir en France. On ne manquait de rien, on faisait partie des familles riches de mon pays, la Guinée. Et en Afrique, quand on est riche, c’est pour tout le monde.

En exil loin de ma famille pour sauver nos vies

Mais j’ai dû partir pour des raisons politiques. J’ai eu des problèmes avec l’autorité de mon pays. J’ai été arrêté, frappé, ligoté, emprisonné et torturé, presque tué. Et j’ai eu la chance de m’évader et de fuir, pour sauver ma vie qui était en danger.

La première fois que j’ai été arrêté, c’était le 2 août 2017. J’étais un militant très engagé de l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée). Je sortais manifester sur les places publiques pour dénoncer la mal-gouvernance, j’ai fait adhérer des gens, j’ai fait beaucoup de choses pour mon parti. J’ai surtout été arrêté à cause de mon appartenance ethnique. Je suis peul : le président Alpha Condé, d’ethnie malinké, était au pouvoir et propageait la haine et l’ethnocentrisme.

Après ma deuxième arrestation, en octobre 2018, mon père et mon oncle ont réussi à me faire évader de prison avec l’aide d’un agent pénitentiaire. Ils lui ont proposé un pot-de-vin de 30 millions de francs guinéens, environ 3 000 euros. Mais il y avait une condition : que je quitte le pays, sinon ça allait coûter ma vie et celle de mes parents. Je suis parti le lendemain, mes parents avaient préparé mon voyage avec un passeur qui demandait 7 000 euros. J’ai voyagé avec un passeport d’emprunt du Mali au Maroc, puis en Espagne, avant de venir en France.

On passe nos nuits au téléphone

Arrivé en France, je ne connaissais personne, je ne savais pas où aller. Je ne pouvais pas parler avec mes parents au téléphone… parce que je n’en avais pas. Je ne savais pas comment faire et je n’avais pas d’argent. Le premier jour, j’ai dormi dans une gare où étaient installés des échafaudages. Le deuxième jour, heureusement que j’ai rencontré une femme gentille, Julia et, par chance, c’était une assistante sociale. J’ai dormi chez elle pendant une semaine environ jusqu’à ce qu’elle me trouve un local. Elle m’a aussi aidé à avoir mes documents de demande d’asile.

Avec ces documents, elle a pu m’acheter un téléphone. J’avais le numéro de mon cousin et de mon papa dans ma tête. Quand je les ai eus… D’abord, j’étais en larmes. J’ai pu parler avec ma maman, elle a aussi fondu en larmes. Le premier appel n’a duré que cinq minutes à cause du crédit. C’est mon père qui m’a rappelé, on a parlé pendant deux heures. Ils m’ont dit de ne plus me lancer dans la politique, de ne plus faire des choses pareilles…

Depuis, ma vie s’est transformée, elle a changé. Actuellement, je suis à la recherche d’une formation d’aide-soignant pour vivre ma passion. La plupart du temps, on s’appelle à 23 heures avec ma famille, quand je vais rentrer à la maison. Parfois, quand je prépare à manger, c’est comme si ma maman était à côté de moi. Elle me dit : « Mets ça dans la sauce, rajoute ça, fais chauffer… » On peut parler longtemps, on s’appelle, puis on se rappelle.

Par exemple, hier je suis rentré à minuit. J’étais très très fatigué, mais mon grand-frère m’a appelé… donc mon sommeil est parti ! J’ai commencé à parler avec son fils, puis avec lui. On peut parler toute la nuit… Je manque de sommeil.

Voir enfin ma famille

J’ai hâte de voir ma famille, j’ai envie que ma maman me dorlote, ou que mon papa me regarde en me disant : « Chef, fais-moi ça comme d’habitude. » Je ne peux pas aller en Guinée vu que je suis en asile. La situation est inquiétante là-bas, car c’est l’armée qui est au pouvoir.

Avec les jeunes guinéens qui ont subi des violences politiques et qui sont en France, nous nous sommes concertés pour savoir si on pouvait rentrer au pays, mais c’est compliqué. On s’est décidés, avec mes parents et moi : on va essayer de se rencontrer à Dubaï ou au Maroc… Mon père pourrait venir en France, car il voyage beaucoup. Mais c’est compliqué avec son business.

La famille est importante, restez avec votre famille, soyez heureux. La mienne me manque trop. Parfois, la nuit, je vois ma maman ou mon papa sourire, ou j’entends le son de leurs voix dans mes oreilles.

Barry Amadou, 23 ans, en formation, Paris

Crédit photo Pexels // CC Ketut Subiyanto

 

Que se passe-t-il en Guinée ?

En 2010, pour la première fois depuis l’indépendance du pays en 1958, un président est élu démocratiquement. C’est Alpha Condé. Trois ans plus tard, pour les législatives, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), principal parti d’opposition, dénonce déjà des fraudes.

Alpha Condé est réélu en 2015. Nouvelles tensions avec l’UFDG qui critique l’organisation du scrutin. Le président change la Constitution en 2020 pour pouvoir briguer un 3e mandat : l’UFDG crie au coup d’État et descend dans la rue, la police tire sur les manifestant·e·s. Pendant plusieurs mois, les arrestations arbitraires et les meurtres d’opposant·e·s se multiplient dans le pays.

En 2021, l’armée organise un putsch et Condé quitte le pouvoir. Pendant ses onze ans à la tête du pays, des centaines d’opposant·e·s politiques ont été blessé·e·s, arrêté·e·s, torturé·e·s, enfermé·e·s arbitrairement, ont disparu ou ont été tué·e·s.

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