2/5 Un jour, il a bloqué mon numéro
La relation avec mon père, quand j’étais petite, était la meilleure. Il venait me voir tous les week-ends et trois fois dans la semaine, il venait me chercher à l’école. On passait nos meilleures journées ensemble. Mes parents sont séparés car ils ne s’entendaient plus. Mon père n’était jamais à la maison, il partait en vrille, il buvait, fumait. Du coup, ma mère a divorcé de lui. J’étais en petite section.
Après le divorce, il a continué de partir en vrille. Il fumait quand il était avec moi, mais je l’avais toujours vu faire donc pour moi, c’était normal, ce n’était pas un problème. Quand on se voyait, on allait au cinéma, au restaurant, à la fête foraine, faire du shopping, des voyages, on regardait des films d’action tard le soir avant de dormir. C’était vraiment trop bien. Je pouvais toujours compter sur lui, il me donnait toujours le sourire.
Quand je m’embrouillais avec ma mère ou qu’en cours ça se passait archi mal, bah c’est lui que j’appelais. Je lui expliquais ce qu’il s’était passé et il me conseillait, mais il me faisait aussi la morale, tout le temps. Il me disait de faire attention à moi, que c’était normal que ma mère me donne des ordres parce que c’est ma mère… Ça me calmait vraiment parce qu’il ne me disait pas juste des phrases comme ça, il parlait pendant longtemps, il était vraiment là pour moi.
Il ne m’a donné aucune explication
J’ai grandi et la relation entre moi et mon père est partie de plus en plus. Il prenait de moins en moins de mes nouvelles, jusqu’au moment où il a tout coupé avec moi. Pourquoi ? Je ne pourrais pas répondre, car moi-même je ne sais pas. Il a bloqué mon numéro sans aucune raison.
Il ne m’a donné aucune explication. Ça fait maintenant un an que je n’ai pas parlé avec lui, deux ans que je ne l’ai pas vu, et la dernière nouvelle que j’ai eue de lui est qu’il avait eu un malaise cardiaque. Quand il est parti, j’ai senti un sentiment d’abandon, ça m’a fait grave mal. Je l’ai vécu comme s’il ne m’aimait pas, comme si je n’étais pas sa fille.
Ma mère était là pour moi, elle me disait de rester forte, et que ça ne l’étonnait même pas venant de mon père. Ça m’a fait mal, mais je n’étais pas étonnée, parce que c’était dans son caractère. On l’a toujours connu comme ça.
Pour ma mère, je pense que ça a été compliqué de nous élever seule avec mon grand frère. Je rentrais tard, je m’en foutais complètement de l’école – c’était une option pour moi – et je parlais mal à tout le monde. Au moins une ou deux fois par semaine, c’était obligé que le collège l’appelle pour venir me chercher parce que j’étais insupportable ou parce que j’étais exclue, que j’avais séché, que j’avais des mauvaises notes… Elle s’inquiétait vraiment pour moi.
Une relation qui a gâché toutes les autres
Que mon père soit parti, ça a eu des répercussions sur mes relations amicales et amoureuses. Je n’arrive plus à faire confiance aux gens, par peur qu’ils partent eux aussi. Toutes mes relations sont gâchées. On me reproche souvent de ne pas me confier et de trop rester dans mon coin. Ça énerve mes amis et ma mère, parce que du coup je me renferme. Ils croient que je suis mal mais ce n’est pas ça, je n’ai juste pas forcément envie de me mélanger.
Série 3/5 – Après avoir été élevée par sa mère, Shierley a été obligée de vivre chez son père. Un jour, il l’a chassée de chez lui et elle a dû se débrouiller seule.
Depuis que mon père a fait ça, je n’ai plus envie d’être la même personne qu’avant, je suis devenue différente. Je ne me suis pas forcée mais ça s’est fait comme ça. Avant, j’étais trop naïve, je faisais trop facilement confiance aux gens, j’étais trop présente… Maintenant, je me méfie beaucoup, je fais moins confiance aux autres et je n’aime plus trop rester en groupe.
Quand je pense à mon père, ça me fait mal. Ça reste encore douloureux même si ça fait un an. Pour moi, c’est comme si c’était hier. Je ne comprends toujours pas.
Yasmine, 17 ans, lycéenne, Paris
Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)
Pousser sans tuteur
Sans repères
De Sniper à JoeyStarr en passant par Guizmo, les rappeurs ont été nombreux à évoquer le sujet du père déserteur. Une situation qui touche autant les femmes que les hommes. Dans l’émission Woman Talk That Talk, Emma témoigne de l’impact qu’a eu l’absence de son père sur sa vie.
Des foyers souvent pauvres
Les familles monoparentales, c’est une famille sur quatre en France. 19 % d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté, soit 1,3 million de personnes. Dans ces conditions, la débrouille, le soutien de l’entourage et le système de protection sociale jouent un rôle capital.
Passer outre les barreaux pour garder le lien
Visiter un·e proche au parloir est une épreuve. Les enfants sont plus de 95 000 à compter un parent derrière les barreaux, le plus souvent le père. À Marseille, l’AFP s’est rendue aux Baumettes, à la rencontre de ces familles disloquées par la prison.