La nuit, je ne sors jamais sans lui
Depuis toute petite, on m’a toujours interdit de sortir la nuit, juste parce que la nuit est sombre et remplie d’insécurité… surtout parce que je suis une fille. Si une fille sort seule la nuit et que quelque chose lui arrive, on dira : « Elle l’a cherché. » On l’entend souvent dans la bouche de vieilles dames. Un jour, je sortais m’acheter un truc vite fait dehors, la nuit, et une dame, de sa fenêtre, m’a dit : « C’est comme ça qu’on vous viole. » J’étais juste choquée. Comment une femme pouvait me dire ça ? Mais bon… on le lui a sûrement dit quand elle était plus jeune.
Le temps est passé, j’ai grandi, mais j’ai toujours été renfermée dans mon cocon. Puis, je l’ai rencontré, j’avais 18 ans. On habitait dans le même quartier sans se parler et, un jour, il m’a abordée. On a échangé les contacts et tout est parti de là. Il est devenu mon ange-gardien, avec qui je me sentais en vie et en sécurité. En sécurité parce que, dans notre quotidien, il est très protecteur. Et parce que, devant tous, il est un homme fort. Parce qu’aux yeux de la société, l’homme est le sexe fort et la femme le sexe faible.
Avec lui, sortir la nuit ne faisait pas peur
Notre première sortie, c’était tard dans la nuit. On a marché tout le long du quartier en discutant. Il m’a montré des ruelles que je ne connaissais pas. On a remarqué qu’il y avait un spectacle au coin de la rue, et nous y avons assisté. Il y a eu beaucoup d’applaudissements, des rires fous, et les personnes présentes ne semblaient pas avoir de soucis. La nuit était belle. Il m’a fait découvrir que la nuit n’était pas si sombre que ça. Nous étions main dans la main assis sur un banc, nous discutions de tout et de rien. On oubliait les soucis, on rigolait, on s’amusait. J’ai vu que la nuit ne faisait pas aussi peur que ce que les gens disent.
Mais je ne sors jamais seule pour autant. Ce qui fait peur, ce sont les mauvaises personnes dehors. Je n’en ai jamais rencontré, mais j’ai des amis qui ont déjà été agressés en Côte d’Ivoire quand ils étaient dehors, tard dans la nuit. Dans mon pays d’origine, il y a une certaine heure où l’on ne doit plus mettre les pieds dehors, au risque de croiser des malfrats prêts à tout pour obtenir ce qu’ils veulent. Mais, bien que je ne sois plus en Côte d’Ivoire, l’insécurité demeure. Combien de fois dans les journaux voyons-nous des cas d’agressions sur des jeunes filles la nuit, des enlèvements ?
En ne sortant pas, j’ai perdu des amis
Je sais que je rate beaucoup de choses. Mes amies sortent en boîte de nuit, et moi je ne l’ai jamais fait parce que j’ai peur de sortir. Ça m’a fait perdre beaucoup d’amis, parce qu’ils pensaient que je faisais exprès de ne pas venir à leur anniversaire… alors que je ne pouvais pas, parce que mes parents ne me laissaient pas sortir. Ils disaient tout le temps que, dehors, il y avait des violeurs et que si j’étais seule, je ne pourrais pas me défendre. Je me disais que c’était normal… jusqu’à maintenant.
Rentrer chez soi… un sport d’esquive. Dans la rue, Chloé a dû apprendre à se protéger des hommes. Elle explique en vidéo ses techniques, qui sont aussi sa charge mentale.
Mais tout est fini. Il est retourné dans son pays d’origine. On est toujours ensemble, mais il a dû partir pour ses activités. Sans lui, je ne veux plus découvrir la nuit, parce que je ne me sens pas en sécurité dehors. Je ne sais pas ce qui pourrait m’arriver si je tombe sur de mauvaises personnes. Ils se diront que je suis vulnérable et sans défense. Je sais que s’il y a un garçon, il pourra me défendre, il pourra se battre. Et peut-être même que des agresseurs ne s’approcheraient même pas de moi, parce que je suis avec un homme.
Elisa, 20 ans, en formation, Paris
Crédit photo Unsplash // CC Christian Lue