Libérer mon corps de leurs regards
Quand j’avais 9 ans, j’ai passé une audition pour une pièce de théâtre : une reprise de la pièce Ils étaient dix d’Agatha Christie. On ne m’avait pas dit pourquoi j’étais auditionné… Une fois sélectionné, ils m’ont prévenu que je devrai porter un maillot de bain. N’ayant pas osé dire que je ne me sentais pas à l’aise, j’ai fait les répétitions, puis la représentation. J’ai dû entrer sur scène en maillot de bain. Assumer mon corps, devant environ 500 personnes. Je m’étais préparé. Je me disais : je n’ai à le faire qu’une seule fois.
Des rires dans la salle
Le jour J, je suis arrivé au théâtre plein de confiance en moi. J’étais (selon moi) blindé et paré à toutes les éventualités. Mais, en entrant, j’ai entendu les rires des personnes présentes dans la salle. En regardant au loin, j’ai vu des gens de mon cours de théâtre qui me connaissaient en train de rire de moi…
Le fait d’entendre les gens rire sur son physique, ce n’est pas très encourageant.
Quand je jouais au foot dans la cour, j’étais moqué également… Même dans le groupe de ceux que je considérais comme « amis », ils se moquaient à coup de « gros porc » et bien d’autres. Évidemment, ils ne sont pas restés mes amis très longtemps.
Suite à cela, j’ai développé un petit complexe que j’avais déjà avant : bégayer. J’ai malheureusement gardé ce bégaiement, que je n’ai su résorber. J’ai aussi développé un blocage sur le fait d’être en maillot. Mon poids avait provoqué rires et moqueries.
Je n’ai pas eu de cours de sport au collège car, étant dans un établissement avec un emploi du temps particulier, nous n’avions pas le temps. Ce qui m’a pas mal aidé, car je n’avais pas à montrer mon corps faisant un exercice physique (là où il est le plus disgracieux). Montrer mon corps, même si c’est en short et t-shirt l’été (j’ai beaucoup de mal avec cette période), c’est un peu compliqué. Même si c’est pour aller à la plage avec mes amis.
Avec mon physique, j’étais exclu
Par exemple, un après-midi, nous faisions une randonnée et nous sommes arrivés à un lac en hauteur. Nous mourrions de chaud. Mes amis sont allés se baigner et moi je n’ai pas voulu, prétextant que je n’avais pas de maillot et que je n’avais pas si chaud que ça. Alors qu’en réalité, je mourrais de chaud et je n’avais juste pas envie de montrer mon corps devant des gens à qui je l’avais justement caché pendant trois ans. Quand je les voyais se baigner, je me sentais comme exclu.
Pour pallier ce problème de bien-être dans mon corps, j’ai trouvé un moyen. Mettre des gros vêtements pour faire disparaître le plus possible les formes que j’ai et dont je ne veux pas. Remettre en place mon t-shirt pour donner l’impression qu’il flotte et, évidemment, ne jamais mettre de vêtements moulants. Les marcels, je peux oublier. Les t-shirts moulants, pareil, mais les ceintures j’en mets tous les jours.
Aussi, quand j’étais en primaire et au collège, j’ai tourné dans des films et j’étais donc devant la caméra. Au bout d’un moment, je me suis passionné pour l’autre aspect : celui d’être derrière la caméra. Maintenant, mon complexe me conforte dans cette idée. Et, sans me plaindre au niveau relationnel amoureux, je ne me donne aucune chance car je suis souvent considéré comme l’ami ou la personne à qui on parle, mais surtout jamais comme l’amoureux ou le « crush ».
Faire ce qu’on veut, sans être moqué
Je pense que si le regard des autres n’était pas uniquement du jugement, je pourrais aller à la plage en maillot sans faire attention, manger des choses grasses sans me faire juger, avoir une vie sociale dans laquelle je suis simplement moi. Pouvoir mettre des marcels lorsque je fais du sport sans être jugé, ne plus avoir de remarques grossophobes de la part de mon oncle, cousin, cousine…
Je ne suis jamais retourné dans le fameux cours de théâtre… mais j’en ai pris un autre, de mes 9 jusqu’à mes 14 ans, afin de dédiaboliser ce qui s’était passé. C’était un cours pro composé uniquement d’adultes. Je m’y suis senti mieux, comme libéré, car les adultes jugent beaucoup moins que les enfants.
Quand on passe sur scène, qu’on ne se sent pas jugé et qu’on sent qu’on peut faire ce que l’on veut sans être moqué, c’est une libération qui aide beaucoup psychologiquement. Je suis ressorti avec de très bonnes appréciations de mes professeurs et j’ai développé une meilleure aisance sur scène devant des gens… Je me suis senti un peu mieux dans mon corps. Cela m’a rassuré sur ce domaine artistique : je ne serai pas toute ma vie traumatisé par cela.
Pas envie de ressembler à une norme
Maintenant que j’ai grandi, ça va mieux, aussi car je me retrouve avec des adolescents qui sont plus ou moins matures. J’ai moins de problèmes.
Durant le collège, on n’a fait qu’une seule sortie « sportive ». C’était dans un parc aquatique. À cette occasion, les gens de ma classe me regardaient et riaient de mon physique en me montrant du doigt, et personne ne voulait être avec moi sauf mon meilleur ami.
Les remarques que Capucine a reçues sur son poids ont détruit sa confiance en elle. Culpabiliser à chaque bouchée ou faire du sport sans plaisir, c’est devenu son quotidien.
Maintenant, en cours de piscine au lycée, les gens ne me regardent même pas et mes amis de ce groupe ne font pas attention à mon physique. Ils ont juste envie d’être avec moi et j’en suis très content. La famille et les amis sont les clés. Le fait qu’ils m’aident en m’incluant dans leur groupe d’amis m’aide énormément à compenser le manque cruel de confiance en moi. Mes parents m’aident aussi beaucoup, rien qu’en me laissant m’habiller comme je veux, en me comprenant, en m’en parlant.
Je me sens plus à l’aise psychologiquement, mais rien n’a vraiment changé dans mon rapport à mon corps. Ce que j’aimerais, c’est que le regard des gens change à l’égard de mon corps. Je n’ai pas envie de changer pour ressembler à une norme physique dans laquelle je ne me reconnais pas.
Antoine, 15 ans, lycéen, Colombes
Crédit photo Unsplash // CC Adam Thomas