2/2 Mon obstacle aux grandes écoles : l’argent
« Malheureusement, c’est une réalité : en tant que personne de couleur, noire, de quartier populaire, vous devrez toujours travailler deux fois plus pour arriver à votre objectif. » Voilà ce que nous a dit mot pour mot notre prof de français en troisième. Je la remercie pour sa franchise. Cette réalité est injuste à mes yeux, mais les inégalités existent vraiment. Avant cela, on nous faisait croire qu’on était tous pareils, avec les mêmes chances de réussite.
En primaire et au collège, j’avais l’impression que c’était seulement par le travail qu’on pouvait accéder à la « réussite ». Je pensais que la méritocratie existait vraiment, peu importe d’où l’on vient. Mais, en troisième, la réalité m’a rattrapée. Grâce à un concours scolaire auquel mon collège a participé, j’ai pu connaître une grande école : Sciences Po Saint-Germain-en-Laye.
Avant ça, je n’avais aucune idée de son existence et je n’étais pas la seule. Après cette découverte, c’est devenu mon objectif. Ce qui m’a surtout plu, ce sont les grandes opportunités qu’offre cette école par sa pluridisciplinarité et son année obligatoire à l’étranger. Ça nous laisse le temps de réfléchir sur ce qu’on voudrait faire plus tard, avec la certitude d’avoir un travail à la fin de l’obtention du diplôme.
Il faut que je me batte
En première, j’ai connu les grandes écoles de commerce grâce à un programme d’égalité des chances. Mon but, c’était de faire des études « prestigieuses » parce que j’ai compris leur importance. Ce n’était pas du tout pour faire plaisir à mes parents. Ils n’ont pas conscience de l’importance des études. Pour eux, c’est même mieux que je travaille directement après le bac. C’est surtout pour moi.
J’ai toujours été plutôt bonne élève et j’ai essayé de faire de mon mieux. Mais, en terminale, malgré mon ambition, je me suis en quelque sorte censurée moi-même lors de mes choix Parcoursup. Particulièrement pour des raisons financières, et aussi par peur du choc culturel dans mes études supérieures. Par exemple, je n’ai pas tenté le concours des IEP (institut d’études politiques) et de Sciences Po, ni une prépa ECG parisienne (économique et commerciale voie générale). Je me suis arrêtée aux prépas de banlieue, en me disant que je n’avais pas ma place dans ces lieux.
Je sais ce que c’est d’avoir peu de moyens
Je pense aussi que c’est parce que je n’ai pas totalement confiance en mes capacités pour tenter. Je préfère choisir la sécurité avec l’université, en principe gratuite pour les boursiers, pour atteindre mon objectif et ne pas être un poids financier pour ma famille. Fille d’une famille nombreuse, de parents divorcés, issus de la polygamie de base… Je sais ce que c’est de vivre avec peu de moyens et de ne pas pouvoir se faire plaisir quand on le souhaite.
Le fait de vouloir intégrer une prépa parisienne m’est vite sorti de l’esprit, malgré les nombreuses aides qui existent et auxquelles je suis éligible. Ce qui m’a restreint, c’est surtout le coût de cette vie-là, comme celui du logement pour être plus proche de Paris. Je ne voulais pas avoir à vivre dans un petit appartement ou avoir à faire des une heure trente de trajet aller-retour. J’habite en périphérie de Paris, dans une banlieue éloignée du 95. Ce qui aurait surtout été un handicap pour moi dans le suivi des cours.
Payer les grandes écoles, une fois le concours réussi
Il existe des prépas de banlieue qui font elles aussi très bien leur travail, et heureusement. Mais il faut également penser à comment payer l’école une fois le concours réussi. Travailler en plus d’être en prépa, je pense sincèrement que ce n’est pas la meilleure solution. Toute cette charge mentale m’a repoussée.
Si je souhaite travailler à côté de mes études, spécialement pendant les vacances, c’est pour pouvoir mettre de côté. Pour économiser afin de pouvoir payer une partie de mon école de commerce et continuer en alternance en master, si c’est toujours mon souhait. Pour être indépendante financièrement et ne pas seulement dépendre de la bourse. Mais c’est aussi pour acquérir de l’expérience professionnelle d’une autre manière.
C’est pour cela que mon véritable choix sur Parcoursup s’est orienté vers les doubles licences, qui restent des parcours pluridisciplinaires et exigeants, et qui ouvrent aussi de nombreuses portes. C’est pour moi une bonne alternative, pour me laisser du temps, pouvoir tenter les concours après la double licence ou continuer avec un très bon master à l’université. Pour casser les barrières, il faut saisir toutes les opportunités qui s’offrent à nous.
Je sais qu’il faut et qu’il faudra que je me batte à chaque fois pour faire ma place en tant que jeune femme noire issue de l’immigration. Et, au 21e siècle, on est fatigués de ça.
Mariame, 18 ans, lycéenne, Île-de-France
Crédit photo Pexels // CC Yan Krukov
Le déterminisme, c’est quoi ?
Le déterminisme part du principe qu’une personne est définie par le milieu socio-économique dans lequel elle a grandi. Elle n’aurait pas le choix sur ce qu’elle fera et sera dans la vie.
Changer de classe sociale, un exploit
En France, il faut six générations pour que les descendant·es de quelqu’un en bas de l’échelle des salaires atteignent le revenu moyen. Il n’y a que la Hongrie qui fait pire que nous, parmi les pays dits « développés ».
Ça commence à l’école
L’école renforce les inégalités : elle a tendance à transmettre les codes des classes dominantes. Tous et toutes les élèves sont traité·es de la même manière, alors qu’elles et ils n’ont pas la même culture familiale, les mêmes moyens, ni des parents avec le même niveau de formation.
Ça continue pendant les études
En 2017, le taux de réussite au bac des candidat·es issu·es de l’immigration était de 85 %, contre 91 % pour les autres. Les élèves dont les parents ne sont pas diplômé·es sont 84 % en filière pro, contre 50 % en générale.
Des inégalités qui se retrouvent dans l’accès à l’emploi et le niveau de formation. Elles influent directement sur les conditions de vie, l’accès aux soins, et donc, sur l’espérance de vie.