Les galères d’une étudiante étrangère en France
J’imaginais poser à Paris les premiers jalons d’une carrière dans la recherche scientifique. Je me figurais des journées de travail chargées sur une thématique qui me passionne, dans un environnement de travail international. Je me voyais dans les soirées étudiantes, siroter des verres sur les terrasses parisiennes avec mon nouveau groupe d’ami·es, fréquenter les théâtres et cinémas régulièrement, et participer à des activités associatives.
À 18 ans, je me fixe comme objectif de devenir chercheuse en neurosciences. Je dois faire mon master en France car, à l’époque, le sujet qui m’intéresse n’est que très peu étudié dans mon pays d’origine, l’Algérie. À 21 ans, j’intègre le master que je visais, à Paris. La France ne m’est pas étrangère, je l’ai visitée durant de courts séjours de vacances. Je maîtrise le français, ce qui me permet d’en connaître la littérature, et l’actualité culturelle et politique. Je n’appréhende pas du tout ce nouvel environnement : je n’imagine pas de grand chamboulement dans ma vie et je ne réfléchis pas aux potentielles difficultés auxquelles je pourrais être confrontée.
Avec du recul, je me rends compte que j’avais idéalisé ma vie d’étudiante en France.
Mon but : décrocher une place en thèse
En réalité, il faut bosser dur pour se remettre vite à niveau. La compétition est rude sur les bancs de la faculté. D’entrée de jeu, on nous annonce qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde à l’école doctorale. Sur le moment, je ne me sens pas très concernée : je n’ai encore jamais connu d’échec. Très vite, mes journées ressemblent à des tunnels qui commencent à 7 heures et se terminent à 2 heures le lendemain matin. J’enchaîne entre les cours, les révisions à la BU et chez moi. Il y a peu de place pour les loisirs, et une seule chose occupe mon esprit : décrocher mon master et une place en thèse.
Ce nouveau rythme m’éloigne des ami·es que j’ai laissé·es en Algérie. Les appels et les messages deviennent de plus en plus rares. Nous ne partageons plus notre quotidien et n’avons plus les mêmes préoccupations. Je comprends alors ce que m’avait confié une professeure qui partageait elle aussi sa vie entre deux pays : « Partir, c’est mourir un peu » C’est bien une partie de moi-même qui s’éteint, quand je perds ce lien avec ma ville natale et mon pays d’origine.
Au début, ce constat m’attriste. Puis je finis par l’accepter. J’ai rencontré de nouvelles personnes, à la fac et à la résidence étudiante. Mes nouvelles amitiés sont françaises, espagnoles, tunisiennes, libanaises, chinoises, japonaises, coréennes. Elles ne compensent cependant pas les amitiés de longue date que j’ai perdues. Je me sens un peu seule quand je n’ai pas vraiment la possibilité de partager mes doutes, mes peurs et mes incertitudes.
Deux claques d’affilée
À la fin du master, je me confronte à la dure réalité. Ce qu’on nous avait raconté en début d’année est vrai : des bourses de thèse, il n’y en aura pas pour tout le monde.
Je candidate partout où c’est possible. J’ai de bonnes recommandations, mais mon dossier est systématiquement recalé. Je devrais peut-être changer de pays si je veux poursuivre mon objectif. Plier bagage et repartir à zéro ailleurs, je n’en ai plus la force, ni l’envie. Je suis aussi vexée que déçue qu’on me refuse de réaliser mon rêve.
C’est la première claque que je me prends. Avant ça, j’avais toujours réussi ce que j’entreprenais sur le plan scolaire. Mes ambitions sont confrontées pour la première fois à ce que je vis comme un échec. Finalement, même si on veut, on ne peut pas toujours.
Alors, j’abandonne mon idée de faire de la recherche académique et je m’inscris dans une formation qui permet de se lancer directement dans la recherche médicale. Et là, nouvelle claque, je réalise qu’en tant qu’étranger·es, on n’a pas le choix de se tromper de voie, ni de vouloir en changer. La préfecture refuse presque de renouveler mon titre de séjour car mon parcours « manque de cohérence ».
Deuxième leçon de vie à laquelle je ne m’étais pas préparée. On peut avoir la tête pleine de rêves et d’objectifs mais on ne peut pas toujours les réaliser. Le droit des étranger·es le rappelle. Heureusement, on finit par m’autoriser à rester quand je décroche un stage.
J’ai ma place ici
J’essaie de profiter de ce qui pourrait être mes derniers mois en France, mais le Covid arrive et je me retrouve confinée. Je renoue avec une association que je connais déjà un peu, Coexister. Elle rassemble des jeunes athées, agnostiques, juifs et juives, chrétien·nes et musulman·es. Motivée par l’envie de découvrir la diversité des convictions en France, je participe à des événements en ligne. On échange de manière sincère sur nos visions du bonheur ou des discriminations, on parle de nos motivations à militer pour une société plus inclusive.
Peu à peu, je m’engage dans l’association. Je prends des responsabilités pour organiser, avec d’autres bénévoles, des rencontres et des actions de solidarité. Elles amèneront des jeunes à bousculer leurs opinions, comme ça avait été le cas pour moi. On démontre que des relations apaisées, entre des personnes qui semblent avoir si peu en commun, sont possibles.
Je ressens enfin que j’ai une place dans la société, et dans la société française. J’acquiers une certaine légitimité à mes propres yeux. Jusque-là, je n’étais qu’un individu en séjour temporaire, qui bénéficiait d’un accueil et de services.
Depuis qu’elle est en France, Sali ne pense qu’à son pays : la Géorgie. Elle fait tout pour garder un lien avec sa culture, qui fait partie de son identité.
Avec le temps, je réalise que vivre dans un autre pays, ce n’est pas transposer sa vie dans un nouvel environnement comme je l’avais naïvement imaginé. L’équation n’est pas si simple et je l’avais largement réduite. Vivre à l’étranger, c’est être confronté·e à des désillusions, c’est voir certains liens sociaux disparaître, et prendre le risque de voir une partie de sa vie s’éteindre. C’est aussi avoir l’impression de ne plus avoir sa place dans son pays d’origine, sans pour autant en avoir une dans le pays où l’on réside.
Vivre à l’étranger, c’est finalement essayer de redéfinir une nouvelle manière d’exister, de se faire une place quelque part. L’expérience n’aura pas été aussi rose que ce que j’avais initialement imaginée, mais je trouve qu’elle en vaut la peine.
Sofia, 27 ans, salariée, Paris
Crédit photo Pexels // CC Polina Zimmerman
Être étudiant·e étranger·e en France, c’est (encore plus) galère
Chaque année, 300 000 jeunes posent leurs valises en France pour étudier. A priori, elles et ils s’attendent à ça…
En réalité, leur quotidien est un peu plus galère que celui d’Emily. En plus de l’isolement et de la distance avec leurs proches, beaucoup n’ont pas le droit aux aides du Crous, principalement destinées aux jeunes Français·es. Quand un logement universitaire leur est proposé, le montant de leur loyer est plus élevé que celui de leurs voisin·es de pallier français·es.
Durant le Covid, 46 % des jeunes expatrié·es ont eu plus de difficultés financières qu’en temps normal (contre 12 % chez les étudiant·es français·es). 23 % d’entre elles et eux ont même dû manger moins que d’habitude (contre 4 % des étudiant·es français·es).
Depuis 2019, les étudiant·es extra-européen·nes payent environ dix fois plus de frais de scolarité que les jeunes Français·es. La sélection se fait donc aussi par l’argent : seul·es celles et ceux qui en ont les moyens viennent étudier en France.