Harcèlement sans frontières : la violence me poursuit
C’était un soir d’hiver en décembre. J’étais sur la route pour aller chez moi, il fallait passer par le cimetière pour rentrer à pied. J’étais toute seule, le soleil se couchait et il faisait très froid, les plantes étaient gelées. Quand je suis arrivée devant le cimetière j’ai entendu des adolescents, je pense des lycéens. J’ai entendu des cris et je suis allé voir pour savoir ce qui n’allait pas. J’ai vu une fille qui se faisait harceler par trois filles et deux garçons. La victime se tenait le bras comme pour se protéger d’un coup, elle ne disait rien du tout, elle avait l’air choquée.
J’ai voulu l’aider, mais je n’ai rien pu faire, j’avais peur qu’ils me harcèlent à mon tour. Je suis restée là-bas pour appeler à l’aide si jamais la situation empirait. Finalement ils sont partis et la fille est restée là, sous le choc. Elle ne bougeait pas, j’avais pitié et je voulais aller la voir, mais je savais que dans ces moments-là on peut avoir besoin de rester seul, de respirer et réfléchir, et je ne voulais pas lui faire peur en la surprenant. Cette scène dans le cimetière m’a rappelé ma propre histoire dans mon pays natal.
Moi aussi, j’ai été harcelée par des gens qui se moquaient de moi, qui me bousculaient et me poussaient dans les escaliers, qui me suivaient jusqu’à chez moi et frappaient à ma porte. Tout ça a commencé à l’école, quand j’avais six ou sept ans. Des enfants qui se croyaient au-dessus des autres harcelaient la moitié de la classe. Leurs parents payaient les professeurs pour ne pas qu’ils se fassent exclure.
En France, un harcèlement raciste
Maintenant que je suis en France, je me fais toujours harceler, mais moins qu’avant. Je reçois encore des petits mots que je retrouve dans mon sac ou collés dans mon dos, qui disent : « Ça ne sert à rien que tu apprennes le français, tu es étrangère. » Des gens qui se moquent de moi dans mon dos. Des gens qui mettent des masques covid et viennent me pousser ou m’insulter. Ça fait cinq ans que je vis en France. Je suis habituée au harcèlement, au racisme et aux blagues méchantes. Comme mon pays d’origine est assez loin de la France, personne ne voit où c’est, c’est pour ça qu’on m’a souvent appelée l’étrangère, ou l’alien.
Du dehors, tout le monde pense que je suis une fille simple, qui travaille, mais de l’intérieur c’est assez différent. Je n’aime pas me battre contre les gens. Il y a quelques jours, un mec m’a touché les seins, j’ai commencé à le frapper et à le repousser. C’est très mal vu par les autres musulmanes et musulmans de se laisser faire dans ce genre de situation. Je n’étais même pas sûre qu’il avait fait exprès ou si c’était juste ces amis qui l’avaient poussé sur moi. Je ne pouvais pas supporter ça.
Se défendre soi-même
Pourtant, je n’ai jamais aimé me battre ou répondre aux insultes. Je me dis que ça ne sert à rien. Si quelqu’un me fait ça, ça veut dire qu’il ne comprendra jamais que c’est mal. En plus, je sais que si je commence à tabasser les autres comme ils m’ont tabassée, je serai gagnante. Je fais des sports de combat depuis mon plus jeune âge : boxe, taekwondo et karaté. J’ai appris en m’entraînant avec mon frère ou en regardant des cours sur Internet. Je demandais aussi à des entraîneurs d’amis de me donner des cours particuliers. Ils acceptaient souvent. Je ne m’inscrivais jamais dans des clubs, car je ne voulais pas que les gens sachent que je savais me défendre. Ça aurait pu leur donner envie de me tester. Et je préférais connaître leur vrai visage, savoir s’ils m’aimaient ou pas, que je sache me défendre ou non.
Là d’où je viens, le harcèlement était beaucoup plus dur à vivre pour moi, essentiellement parce que je ne pouvais en parler à personne. Mon père ne m’aurait pas cru. Ma mère m’aurait cru, mais je ne voulais pas compliquer sa vie et qu’elle se fasse du souci pour moi. En France, je peux au moins raconter ça à la CPE, je sais que les harceleurs se feront exclure direct. Je peux aussi en parler à deux professeurs, qui peuvent avertir le directeur ou aller voir les élèves.
Quand j’ai poussé une fille l’année dernière dans la cour du collège parce qu’elle m’avait dit que ça servait à rien que j’apprenne le Français, j’en ai parlé ensuite à ma prof. La fille avait un masque et je ne pouvais pas la reconnaître, mais ça m’a fait du bien que ma professeure me croit sur parole. Maintenant je lui fais confiance. Elle peut m’aider si ça se reproduit.
Vinny, 16 ans, collégienne, Nantes