Père quand ça l’arrangeait
Une maman d’origine portugaise, belle et forte. Un papa d’origine béninoise, absent et manipulateur. Je suis le parfait cliché de la métisse qui attend encore que son père lui ramène le lait qu’il est parti chercher. Je me revois à 7 ans devant ma fenêtre à attendre qu’il apparaisse. Des messages :
8 heures : « Je viens te chercher ma fille. Aujourd’hui, on passe la journée tous les deux. »
10 heures : « J’arrive ma fille, je pars de la maison. »
12 heures : Je me retourne vers ma maman qui me propose de manger quelque chose. Je refuse, cette fois-ci il va venir, il me l’a promis… Mes yeux s’illuminent à chaque voiture qui passe. Mon cœur bat à chaque sonnerie de téléphone. « Il y a des bouchons mais ne t’inquiète pas, on va aller au McDo. »
15 heures : le regard de ma mère est désolé devant mes yeux pleins d’espoir.
20 heures : « J’avais un truc à faire, mais ne t’inquiète pas, si tu veux, je viens le week-end prochain. » C’est marrant, il m’a dit la même chose le week-end dernier.
J’ai fini par lui dire que je n’avais plus envie de le voir, plus envie de l’attendre, plus envie d’espérer. Il avait réussi à briser le cœur d’une petite fille de 7 ans, qui ne demandait qu’à être aimée et emmenée au parc par son papa, comme ses copines. Mais je n’avais rien comme elles. J’avais une maman toute seule, une maman qui travaille beaucoup pour ne jamais avoir à dire non à sa fille. L’école était ma deuxième maison, déposée à 7 heures le matin, récupérée à 7 heures le soir.
Cinq enfants avec quatre femmes
Les années passent, sans la présence de mon père. Je grandis, j’évolue, je me construis. En troisième, je reçois un message que je n’attendais plus : « Bonjour ma fille, comment vas-tu ? » Ma fille ? Après dix ans, il se souvient qu’il en a une ?
S’en suit une discussion assez légère, où j’apprends que j’ai deux petites sœurs et deux petits frères : cinq enfants de quatre femmes différentes. Mon petit frère a subi le même sort que le mien. Une fois de plus, le géniteur n’assume pas ses responsabilités.
Sa nouvelle femme est d’une bonté extraordinaire et je comprends vite que c’est elle qui l’a poussé à reprendre contact. Ça ne vient pas de lui, rien de choquant.
Ma relation avec lui reste cordiale mais je reste méfiante. D’autant plus que ma mère ne cesse de m’avertir sur ses comportements de manipulateur. En toute honnêteté, si mes frères et sœurs n’étaient pas là, je ne verrai pas cet homme. Je ne veux pas qu’ils se disent que c’est contre eux, bien au contraire. Mais leur père n’est pas le mien, leur chez eux n’est pas chez moi.
Ma paie qui tombe, son masque aussi
Je suis tellement mal à l’aise à ses côtés, il me promène partout, me présente à tout le monde, ses collègues, ses amis insistant sur le fait que je suis belle, studieuse, mature, et que j’ai une bonne éducation. Mais stop en fait ! Il n’a en rien contribué à mon éducation, à ma scolarité, à ma personne, je ne le connais pas. Il n’est pas mon père.
L’été de mes 16 ans, je trouve un travail dans un restaurant sur Paris, je bosse tout l’été, j’enchaîne : service du midi sur service du soir. Ma responsable me félicite et ma première paie tombe. Le masque de mon géniteur tombe également.
Dans 80 % des familles monoparentales, le parent qui reste, c’est la mère. Grandir sans père, c’est souvent grandir dans une certaine précarité, mais aussi apprendre à vivre avec un sentiment d’abandon et/ou de colère, et assumer des responsabilités d’adulte arrivées bien trop tôt. Cinq jeunes nous parlent de l’absence de leur père dans une série de témoignages.
Il m’avait ouvert un compte en banque en m’affirmant qu’il me verserait 50 euros tous les mois. Une fois de plus : des belles paroles. C’est sur ce compte que tombe ma paie. Coup de téléphone : « Ma fille, tu vas bien ? J’ai vu t’as eu ta paie ! Tu peux me passer 400 euros ? » J’ai cru rêver. Comment ose-t-il me demander ça ? Il n’a jamais payé une seule pension alimentaire à ma mère, ne m’a jamais offert de cadeau pour mon anniversaire ou pour Noël… et il me demande de l’argent de ma première paie ? Quelle audace ! Je lui ai raccroché au nez et on n’en a jamais reparlé, comme d’habitude.
Aujourd’hui, il se contente de prendre de mes nouvelles, et moi de mes frères et sœurs. Et ça nous va très bien.
C’est parfois difficile. Il m’arrive de me sentir assez seule, de me demander pourquoi moi je n’ai pas eu le droit d’avoir un père aimant. Puis, je me souviens que j’ai la chance d’avoir une maman extraordinaire. Je me suis construite comme ça, c’est ce qui m’a forgée et ce qui a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui. Et j’en suis fière.
Salomé, 17 ans, lycéenne, Val d’Oise
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