Du mépris de classe à l’amitié
Lino et moi, on ne s’entendait pas. On s’embrouillait souvent, en cours ou à la sortie du collège. Il se moquait souvent de moi parce que je portais des vêtements en mauvais état. Je n’avais pas les moyens de m’en acheter de marque ou à la mode. Mes parents ne travaillent pas, en plus d’êtres malades. Pour moi, avoir un vêtement haut de gamme, c’était quelque chose de fou. Lino, il portait des vêtements de luxe, notamment du Louis Vuitton, et racontait souvent ses vacances à Dubaï ou aux États-Unis.
Quand je voyais des personnes bien habillées qui vivaient une belle vie, je ressentais de la jalousie et de la haine. Elles avaient tout ce qu’elles voulaient, leurs parents leur donnaient tout. C’était notamment le cas pour Lino.
Des retrouvailles inattendues
Trois ans plus tard, je l’ai revu pas loin de chez moi, à l’arrêt de bus. Son lycée était proche du mien. Il m’a salué. Je l’ai salué en retour, étonné. On s’est tapé la discute tout en prenant des nouvelles comme si on était deux anciens meilleurs potes qui s’étaient perdus de vue, alors que c’était tout l’inverse : on était deux anciens pires ennemis.
Il s’habillait toujours avec des vêtements haut de gamme. Moi, j’étais plutôt bien habillé : une paire de TN, un ensemble Nike, une casquette Adidas, des bagues et une montre classique. Ce n’était pas du luxe, mais c’est ce que j’avais les moyens d’avoir. J’avais réussi à me faire un peu d’argent de côté en faisant de la vente d’objets électroniques avec mes potes sur Leboncoin. Je voulais me sentir comme les personnes riches qui ont les moyens de tout avoir sans pour autant travailler ou faire quelque chose de leur vie.
Comme on prenait souvent les transports ensemble, on s’est revus et on s’est échangé les réseaux. On est devenus très potes lui et moi. Tout ce qui s’est passé au collège, on l’a mis derrière notre dos. On parlait de tout et de rien, on partageait les mêmes délires : le foot, le sport, les faits divers. On se sortait souvent des références de youtubeurs drôles, dont Mister V.
Deux mondes qui se rencontrent
Parfois, il m’invitait chez lui pour jouer à la Play et me payait à manger avec les tickets-restaurants de son père, qui possède un grand restaurant à Noisy-le-Grand. Quand je venais chez lui, au début, j’étais impressionné par la grandeur des pièces. Il a un salon qui, sans abuser, fait quasiment la même taille que toute ma maison. En plus d’un étage avec quatre chambres pour lui, son petit frère, sa petite sœur et ses parents.
Moi, je n’ai que deux chambres : une que je partage avec mon frère et une autre pour ma mère et ma sœur. Mon autre frère, lui, dort dans le salon, dans un clic-clac. Je n’ai même pas la place pour emmener un pote chez moi et j’ai un peu honte. J’ai peur qu’on me juge car, chez moi, ce n’est pas très propre comme chez lui.
On n’a pas la même notion de l’argent lui et moi, il m’explique souvent que l’argent pour lui c’est quelque chose de banal. Il en a presque tout le temps. Alors que, pour moi, si on me donne 100 euros c’est grave une dinguerie.
En intégrant un lycée privé, Micha a découvert l’argent, le pouvoir, le confort. Mais aussi la solitude des enfants riches, les inégalités et le communautarisme.
L’un et l’autre, on est très sportifs. On va à la salle ensemble tous les jours de la semaine, de 20 heures à 22h30, sauf le samedi et le dimanche. Notre objectif est de dépasser les 100 kg au développé-couché, une dure difficulté qu’on s’est promis de passer ensemble.
Il me complimente souvent, en me disant que je suis devenu bg, que je m’habille bien, que je suis devenu musclé et ça, ça me touche énormément. Je ne reçois pas souvent, et même jamais, de compliments sur mon physique. Il est pratiquement la seule personne à me complimenter de cette manière.
Ça fait aujourd’hui huit mois que moi et Lino, on se reparle. Nous avons réussi à tisser un grand lien d’amitié que je n’aurais jamais imaginé avoir avec lui. Le pauvre qui est devenu meilleur pote avec le riche. Ce qui nous lie, c’est notre complicité, et nos caractères, qui sont approximativement les mêmes. On n’a pas grandi de la même façon, mais on est devenus comme deux frères.
Massi, 18 ans, en recherche d’emploi, Montreuil
Crédit photo Pexels // CC Budgeron Bach