Ma vie à l’arrêt dans un désert médical
Un jour, ma mère s’est ouvert la tête. Anxieuse, j’ai croisé les doigts pour ne pas trouver portes closes aux urgences. J’habite à deux minutes à pied de l’hôpital mais, depuis deux ou trois ans, les urgences sont fermées la nuit et régulées la plupart du temps en journée.
Elles étaient encore ouvertes. J’ai été soulagée de ne pas avoir à trouver un plan B ou à amener ma mère au CHU le plus proche, situé à plus de 35 minutes de route – voire plus en hiver. J’habite dans une petite ville de 18 000 âmes. Une ville à la campagne qui a tout pour plaire. Un de mes nombreux dictons, c’est : « Bien dans son corps ET dans sa tête. » Mais il ne va pas de paire avec ma situation actuelle : comme dans beaucoup d’endroits en milieu rural, c’est la galère pour se soigner.
J’ai des problèmes de concentration, un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et des troubles de l’anxiété. Pour conduire, parfois, c’est folklorique. Surtout quand je suis malade comme un chien et que je dois faire 15 km pour aller chez mon médecin traitant.
Nouveau médecin, nouvelle patientèle
Jusqu’à mes 20 ans, j’allais voir mon médecin de famille. Il m’a connue quand j’étais haute comme trois pommes. Mais il est parti à la retraite et n’a pas eu de remplaçant pendant un an et demi. Un nouveau médecin est arrivé, mais il a refusé de prendre sa patientèle.
J’ai alors trouvé ce médecin roumain venant de s’installer. Quand j’ai besoin d’un rendez-vous, je l’ai dans la journée. Chez d’autres, il y a plusieurs jours d’attente, et rares sont ceux qui prennent de nouveaux patients.
Le psychiatre qui me suivait ado est lui aussi parti à la retraite. Ça fait donc quatre, cinq ans que je n’ai plus de suivi régulier. Les CMP (centres médico-psychologiques) ne me correspondent pas. Pendant un temps, j’ai réussi à vaincre ce qui me parasitait. Puis, il y a eu une rechute, une autre et encore une autre.
Pendant plusieurs mois, j’ai essayé de choper un rendez-vous, en vain. J’en ai absolument besoin pour pouvoir aller de l’avant. Pour l’instant, c’est mon médecin traitant qui prend le relais, mais même lui admet qu’il faut absolument que je trouve un praticien acceptant de me suivre.
Heureusement que ma psychologue est là. Mais, comme elle le dit, elle n’est pas médecin ni bac +12. Elle non plus ne peut pas m’aider comme elle le voudrait.
Un écran dans une pharmacie
Cette année, j’ai eu une grosse crise d’angoisse que j’ai mis longtemps à calmer. À la fin, j’étais K.O. Mon médecin était en vacances et j’avais épuisé toutes les possibilités : maisons médicales de garde, SOS Médecins… Finalement, sur les conseils du 15, j’ai opté pour cet ultime recours : la téléconsultation.
Je me suis déplacée dans une cabine, à l’intérieur d’une pièce dans une pharmacie du centre-ville. J’ai inséré ma carte vitale, essayé, loupé sur un malentendu, attendu, réessayé. J’ai attendu une quinzaine de minutes. Attendu que n’importe quel médecin généraliste en France puisse me téléconsulter. La consultation a duré dix, quinze minutes. Le médecin en face de moi, devant son écran, a été compréhensif, en me souhaitant d’aller mieux.
Anaïs s’est battue contre ses troubles du comportement alimentaire (TCA). Hospitalisée et placée en isolement thérapeutique pendant plusieurs mois à 17 ans, elle réclame aujourd’hui une meilleure prise en charge des malades.
C’est particulier, je trouve. C’est bien pour dépanner, mais mieux vaut voir quelqu’un en physique. Même si je dois faire des kilomètres. Et puis, il faut connaître les nouvelles technologies : bonjour ceux qui sont en fracture numérique !
À cause de ces problèmes psys et de quelques personnes néfastes, je me retrouve en arrêt depuis plusieurs mois dans un métier que j’apprécie habituellement, animatrice périscolaire. Ça me bouffe la santé. Mes soucis me frustrent beaucoup et me font littéralement péter les plombs. Alors moi, la grande sportive et la bénévole impliquée que je suis, j’ai dû lever le pied.
J’ai découvert récemment que des communes engagent des praticiens. Ils ont un statut de fonctionnaire et les avantages qui vont avec. Dans les Côtes-d’Armor, une commune paie les études d’un jeune en médecine, qui viendra y travailler une fois diplômé. Ça pourrait être des solutions.
Jeanne, 25 ans, en formation, Dingé
Crédit photo Hans Lucas // © Jimmy Beunardeau — Une pancarte à l’entrée d’un petit village de campagne dans l’Orne affiche « recherche médecin généraliste », le 23 septembre 2022.