Djibril X. 14/05/2024

Témoin du trafic en bas de chez lui

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De son balcon, Djibril est aux premières loges pour observer discrètement les dealers, les guetteurs et les descentes de police. De là, il rêve de pouvoir descendre dans la rue sans avoir peur.

Dans mon quartier, à Saint-Denis, dans le 93, c’est tout le temps le jeu du chat et de la souris entre la police et les dealers du coin. J’observe tout ça d’en haut, depuis mon balcon. Tous les jours, une patrouille de police débarque dans le quartier. J’observe tout ce qu’il se passe. On ne me voit jamais par la fenêtre. Si jamais les dealers savaient qu’on les observe, ça pourrait être un problème. 

Je ne me sens pas trop en sécurité dans mon quartier. C’est dur de vivre dans ce genre d’endroit. Avec plein de dealers autour de soi. Je ne leur parle jamais, mais c’est à cause d’eux qu’on voit toujours les condés dans nos cités. J’ai déjà eu peur à cause des règlements de comptes. J’ai déjà vu des dealers se battre entre eux à coups de pied et coups de batte. Je me dis que si je suis dans le coin, je peux me prendre un coup gratuitement. En plus, si tu rencontres un gars d’une autre cité dans la rue, il peut te tabasser juste parce qu’il y a des embrouilles de dealers entre les deux quartiers, alors même que tu n’as rien à voir avec ça. Ça impacte tous les habitants.

« Mon quartier serait tellement bien sans dealer »

Depuis mon balcon, je vois arriver la police. Les « choufs », les guetteurs quoi, postés à tous les coins du quartier annoncent la présence des condés. Ils se mettent tous à crier : « AKHA AKHA. » Ils peuvent aussi siffler. Dès qu’ils entendent ce son, les dealers quittent les points de vente en courant. Ils sont rapides comme Flash.

Dès que la police repart, les dealers et les guetteurs reprennent le contrôle de la cité. Comme si de rien n’était ! Vraiment un bordel, le jeu du chat et de la souris ! Les vieux du quartier ont peur, ils pensent que le quartier appartient au dealers. Et personne ne peut rien y faire. Les vieux, juste ils passent. Ils ne disent rien et ne font rien, sinon les dealers peuvent s’en prendre à eux. Parfois, il y a des vieux qui les engueulent en leur disant : « Vous nous faites chier, on vit avec nos enfants ici, c’est pas normal. » Mais ils n’en ont rien à faire. Seule compte la route vers l’argent. Ils n’ont peur de personne dans le quartier, à part de la police.

Mon quartier serait tellement bien sans les dealers. Je voudrais vivre dans une banlieue calme comme Villeparisis. En fait, je ne connais pas d’endroit calme mais j’imagine que ça doit être bien de vivre là-bas. Je pourrais vivre dans un quartier en paix. Ne pas entendre tout le temps des cris, des tirs de mortier.

« La queue de ouf, tôt le matin »

J’ai grandi à Bamako et là-bas, c’est calme. Il n’y a pas de trafic dans les quartiers. Il y a un endroit avec du trafic mais ce n’est pas un endroit où tu vis. Dans mon quartier à Saint-Denis, on m’a même déjà proposé de guetter pour 100 euros par jour. J’ai dit que je n’étais pas intéressé et je me suis barré direct.

À 15 ans, Abdel Karim a commis des délits avec ses potes pour remplir le frigo. Jusqu’au jour où…

Capture d'écran de l'article : "Le droit chemin". Il est illustré par une photo où l'on voit deux jeunes hommes, habillés de couleurs sombres, en train de rouler des cigarettes. On ne voit pas leurs visages. Derrière eux, un décor désaffecté, avec des tags.

Depuis mon balcon, je vois les consommateurs qui viennent chercher leur drogue. Les gens font la queue de ouf, tôt le matin, comme des pigeons. L’échange se fait dans deux bâtiments. Il y a toutes sortes de gens qui viennent acheter : des jeunes, des vieux, des sans-abris et d’autres viennent directement après le travail avec leurs habits de taf en costard-cravate. Il y a aussi plein de jeunes, filles et garçons. Ça me fait de la peine de voir des personnes si jeunes faire la queue comme ça pour de la drogue.

Djibril, 17 ans, Saint-Denis

Crédit photo Hans Lucas // © Steven Wassenaar – De dos, un homme avec une casquette regarde la vue depuis la fenêtre d’un bâtiment.

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