Paris sportifs : s’offrir une vie de footballeur
On est partis à Monaco trois semaines pendant les vacances d’été. On était cinq, six potes. La nuit, on allait au Cercle d’Or. C’est une place au centre de la ville : avec des bateaux, des boîtes, des bars… Un poto avait vu ça sur les réseaux. On a dépensé tout notre argent dans les dépenses courantes : les sorties quotidiennes, l’alimentation, les produits d’hygiène, les vêtements de luxe et les meufs. On a également trouvé des souvenirs dans les rues de la vieille cité. On en a bien profité.
En plus, on ne pouvait pas profiter de l’argent chez nous, à Paris. Nos parents nous auraient dit : « T’as eu ça où ? Tu t’es acheté ça comment ? » Je n’ai jamais parlé des paris sportifs à mes parents. J’aurais fini direct au bled, à Dakar au Sénégal. J’économisais en dessous de mon lit, pour pas que ma mère me demande d’où vient l’argent.
C’est chez un ami qui habitait à côté de notre maison qu’on a commencé à parier. J’avais 17 ans. La première fois, on a misé 200 euros sur Barcelone–Paris. On a gagné 1 000 euros. Malheureusement, on a perdu. On a voulu regagner ce qu’on avait perdu, donc le deuxième jour, on a mis 50 euros. On a gagné 1 200 euros. On était contents, mais on ne savait pas encore ce qui nous attendait. Le troisième jour, on a encore gagné. Mais cette fois, c’était beaucoup d’argent. Dans les 5 000 euros… Je me suis dit : « C’est la bella vida. »
Vivre bien comme les stars
C’est comme ça qu’on est partis à Monaco. Des footballeurs et influenceurs que je suis sur les réseaux y sont aussi partis : Mbappé, Fàbregas, Abdel… et des rappeurs, comme Ninho et SDM. Sur mon téléphone, je voyais que les stars y vivaient bien. Il y avait du soleil et des meufs. Là-bas, tu as accès à une qualité de vie exceptionnelle au cœur de l’Europe. C’est la capitale internationale du grand luxe.
Avant de commencer, je voyais les grands parier dans mon quartier. Quand il y avait la Ligue des champions, on regardait ensemble. On avait besoin d’argent pour être plus sereins et pour la sécurité. C’est un véritable luxe de ne pas manquer. Ça nous permet d’être plus apaisé et plus léger face à la vie. Sans les paris, je vivais quand même bien, mais ce n’était pas la même vie. On manquait d’argent : pas nos familles, mais nous, les jeunes. Ma mère et mon père me donnent tout, mais avec mon propre argent, je me suis acheté des vêtements, des chaussures, des téléphones… Par exemple, avant, j’avais des vêtements Nike, mais moi je voulais aussi du Under Armour, parce que mes potes portent ça.
Une boucle infernale
De retour à Paris après nos vacances, on n’avait plus d’argent. On n’avait pas assez pour miser, alors on en a volé. On a aussi contaminé des potos, pour qu’ils parient à leur tour. Jusqu’à aujourd’hui, il y en a qui parient encore. Ils m’ont vu avec de l’argent, des vêtements de marque, et ils m’ont demandé : « Ça vient d’où ? » Je leur ai expliqué. Ça les a motivés à se lancer. C’est de l’argent facile. Tu fais rien, tu paries juste.
Un pote a demandé une interdiction volontaire de jeu, pour abandonner les paris sportifs. Avant, je ne savais pas que ça existait. Le marchand au tabac ne nous en a jamais parlé. Quand tu vas parier, il ne te parle même pas. Pour lui, ça cause des pertes. Mon pote n’avait pas le choix. Il avait 22 ans, il voulait faire des économies et il était accro. Donc il a demandé ce papier qui t’interdit de jouer. Être accro, c’est parier tous les jours et même quand tu perds, tu reparies vu que tu veux regagner ce que t’as perdu. Tu gagnes, tu perds, tu gagnes, tu perds… tu ne fais pas de bénéfices en fait. Tu dépenses. Et quand tu gagnes un peu, tu vas être content et ça va te pousser à miser.
Moi, je ne me suis pas pris la tête. J’ai arrêté. Je n’avais pas de taf, je me suis dit que je perdais trop d’argent. Je me suis mis à en demander à mon père pour m’acheter de quoi fumer, mais il ne voulait pas. J’ai failli reprendre les paris. Mais j’ai résisté. J’ai même supprimé les applications de mon téléphone.
Mohamed, 18 ans, volontaire en service civique, Paris
Crédit photo Unsplash // CC Brock Wegner
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« Quand je gagne je joue, quand je perds je joue », de Marcus, 17 ans. Amateur de sport, de compétitions mais surtout de victoires, il s’est initié aux paris sportifs. Il essaie tant bien que mal de résister à l’addiction.
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