Lisa R. 25/07/2024

Trop vieille pour devenir ballerine

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La danse classique rythme la vie de Lisa depuis ses 5 ans. À 15 ans, elle sait qu’elle n'en fera pas son métier, mais elle compte bien travailler non loin d'une scène.

J’ai commencé et arrêté plein de sports, mais la danse classique est le fil rouge de mes années d’enfance. L’inspiration s’amplifiait après une sortie opéra ou ballet, puis se dissipait. J’avais toujours des étoiles plein les yeux après Casse-Noisette. Je tourbillonnais les bras levés au-dessus de la tête dans le vestiaire du théâtre. Je fredonnais les airs de Tchaïkovsky.

J’ai commencé la danse classique vers 5 ans, comme tout le monde. Je n’étais pas souple. Je n’y arrivais pas particulièrement. J’ai arrêté vers 9 ans. À 11 ans, une première fois, puis à 15 ans, une deuxième fois, je suis allée avec ma mère voir Roméo et Juliette au théâtre Mariinsky à Saint-Pétersbourg, un des meilleurs théâtres d’opéra et ballet. Quelque chose de fort, de puissant, s’est déclenché en moi. Un violent désir de rester dans ce théâtre pour un long temps, jusqu’au jour où j’apparaîtrai dans la lumière blanche des projecteurs, de l’autre côté de la fosse d’orchestre, d’où s’élèvera une musique qui me haussera sur la pointe du pied et me rendra si légère, si légère…

J’étais prête à tout laisser, le lycée, les amis, la famille, la maison, le monde dans lequel j’avais vécu auparavant pour entrer dans un autre : celui de la danse classique. Je m’y pensais prête. J’ignorais hélas que, pour devenir un ange, il faut passer par l’enfer.

« Sur 100 danseuses, 99 se sacrifient pour rien »

Pendant deux mois, tous les jours, je m’étirais et m’entraînais, oubliant mes devoirs. Dans ma chambre, dans un coin de la cour du lycée, dans un quartier désert de ma ville. Une demi-heure, une heure, deux heures, parfois dix minutes quand ça faisait trop mal. Se coucher sur ses jambes tendues sans courber le dos au point de toucher son genou avec son nez. Se hisser pour la quinzième fois sur la pointe d’un pied, tout le poids du corps y pesant… Je m’efforçais pourtant. La jambe tremblait déjà comme un avion en turbulence mais je la tenais, je me cramponnais, encore vingt secondes, quinze secondes, huit secondes, deux secondes…

J’ai fini par aller voir une professeure de danse qui entraînait les professionnels. Elle a constaté des progrès importants par rapport à ma situation initiale… et a fini par reconnaître ce que je redoutais. Soyons lucides : je suis une grande fille, 15 ans – tellement jeune et tellement vieille – et les étoiles, elles commencent à 4 ans. Elles entrent dans les écoles où elles s’entraînent jusqu’à huit heures par jour. Pour elles, fini les pizzas, les gâteaux au chocolat, les jolis orteils, les genoux en bonne santé… Sur 100 danseuses qui veulent être l’ange de la grande scène de La Scala, du Bolchoï ou du Mariinsky, 99 se sacrifient pour rien !

« L’odeur enivrante du théâtre »

Le ballet est un monde extrêmement cruel où la sélection naturelle est la loi fondamentale. Seul un talent incroyable, une volonté de diamant et un travail surhumain peuvent permettre d’y arriver. Un travail que, finalement, j’étais incapable de supporter. Quand je danse, je peux m’exprimer mieux qu’en n’importe quelle langue. La musique me sert de voix, les instruments de mots et les notes de pensées. Quand je danse, je peux enfin faire parvenir au monde mon message intérieur en parlant de choses que je n’arrive pas à formuler. Quand je danse, je suis sage. Quand je danse, je suis forte. Quand je danse, je suis belle. Le problème, c’est que mon vocabulaire dans cette langue du corps est trop réduit.

Elle ne m’a plus lâchée, l’odeur enivrante du théâtre. Chaque fois que j’y vais, je le sens. Ma place n’est pas dans le fauteuil de la salle. Comédienne, metteuse en scène, chorégraphe, de toute façon, après la danse classique, on peut tout faire ! Elle structure, donne une volonté de fer, détend et inspire.

Lisa, 15 ans, lycéenne, Maisons-Laffitte

Crédit photo Pexels // CC Yan Krukau

 

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« La danse, ma vie » de Balerina, 22 ans. Elle a découvert la danse par hasard et c’est devenu son projet d’avenir. Elle a pour ambition d’ouvrir une école à son nom.

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