Percer sur TikTok, à quel prix ?

« These roads of flames are catching a fire… » Ces paroles, issues du titre Praise Jah In The Moonlight, de YG Marley, tournent en boucle sur les réseaux sociaux. Le chanteur y rend hommage à son grand-père, Bob Marley. C’est en scrollant sur TikTok, plateforme où je passe beaucoup (trop) de temps, que je suis tombé sur ces paroles, dans une vidéo qui a percé de ouf. Je t’explique la trend (tendance).

Dans cette vidéo, une jolie fille, qui doit avoir entre 18 et 20 ans, se filme en selfie sur cette musique de reggae. La vidéo dure à peine quinze secondes. Elle est assise dans une voiture, côté passager, c’est une autre personne qui conduit. La nana porte un t-shirt gris longues manches. Elle est maquillée et a de longs cheveux lisses. Je pense même qu’elle a mis un filtre car sa peau est parfaite et ses dents toutes blanches. Elle tape la pause, se recoiffe.

Tout semble à peu près spontané. Et pourtant, à l’heure où j’écris, la vidéo cumule plus de 640 millions de vues et plus d’un million de commentaires et de partages. La créatrice de contenus, Leah Halton, a battu le record de vues en utilisant ce son. Depuis, des milliers et des milliers de tiktokeurs reproduisent son attitude. Un filtre avec des tâches de rousseur et des longs cils a même été créé pour lui ressembler.

Un algorithme difficile à comprendre

Ce genre de trend me fascine. Parce qu’en apparence, rien ne destinait des vidéos aussi anodines et futiles à faire autant de vues. Ça ne me dérange pas que la vidéo de cette fille perce, mais pourquoi autant de vues ? Je ne comprends pas du tout ! Dans cette vidéo, il n’y a pas de montage, pas de créativité particulière, pas de message, même pas de sens ! On mate juste une (belle) meuf chanter en playback dans sa voiture. L’algorithme de TikTok est vachement aléatoire.

En parallèle, une autre trend monte en ce moment : de plus de plus de tiktokeurs se demandent pourquoi cette personne a fait autant de vues. Ça dit par exemple : « POV (point of view) : on rigole, on rigole, mais cette fille est en train d’exploser le record de likes… » C’est le serpent qui se mord la queue, parce que rien que le fait d’en parler là et de faire des vidéos POV lui donne de la visibilité.

Au final, cette fille a dû recevoir beaucoup d’argent pour cette vidéo. Et il est bien là le problème, d’après moi. TikTok ne devrait pas rémunérer ce genre de contenus, mais plutôt des contenus utiles et travaillés comme des tutos (recettes, mécanique, sport…), ou encore de l’actualité comme le fait Hugo Décrypte.

De l’argent facile grâce à un « système pourri »

Ce système de rémunération basé sur les vues pousse les jeunes, comme moi, à ne pas vouloir se lancer dans le vrai monde du travail. Ça donne des idées. Tu peux te faire de l’argent facile grâce aux réseaux. Si je voulais, moi aussi je pourrais me lancer. Problème : si je m’affichais dessus, mes amis et ma famille le verraient d’un mauvais œil.

En y réfléchissant bien, je ne pourrais pas me lancer, car tu dois bien gérer le truc et réfléchir à tes contenus. Pour beaucoup, c’est devenu un « travail ». Et moi je ne pourrais pas prendre cette activité au sérieux. Je ne pourrais pas dire à mes enfants plus tard : « J’ai gagné de l’argent en faisant le guignol sur les réseaux. » J’ai un pote qui essaie de percer, il a fait 10 millions de vues sur une vidéo archi-bidon ! Il est dans un aéroport. Il filme un couple dont la fille est en train de pleurer. On ne la voit pas de face. Le couple doit se séparer, apparemment. La réaction de mon pote, témoin de la scène, en train de se filmer a fait rire les gens. Pas facile de se démarquer, mais parfois il suffit d’un rien.

Ça reste injuste. La rémunération des gens qui percent sur les réseaux est excessive par rapport aux gens qui se lèvent à 6 heures du matin, qui se cassent le dos. Entre sauver des vies dans la vraie vie et faire des vidéos qui n’ont pas de sens et pas d’utilité, il y a une grande différence. La rémunération des tiktokeurs devrait être limitée pour éviter qu’il y ait un trop gros écart. Ça donnerait moins envie à des jeunes comme moi de vouloir percer à tout prix et de ne pas travailler. Pour autant, ça n’est pas les créateurs de contenus qu’il faut blâmer. C’est tout un système qu’il faut repenser. Un système pourri, basé sur le buzz, les apparences, sur la mise en valeur de belles et jeunes filles et sur la course aux vues.

Max, 17 ans, volontaire en service civique, Lille

À lire aussi…

Je vis au rythme des réseaux sociaux, par Mélanie, 20 ans. Elle ne s’imagine pas vivre sans les réseaux sociaux. Pour elle, c’est un moyen d’être « présente » un peu partout à tout moment.