Son métier rêvé, pas le genre de son père
« Maman, Papa, je voulais vous parler d’un sujet assez important pour mon avenir. Je voudrais devenir pompier ou policière », dis-je, debout, face à eux. À cet instant, je tremble, je ne sais pas où regarder et mon cœur bat très fort. J’ai peur de leur jugement mais en même temps je veux être cash pour qu’ils m’écoutent vraiment.
Mon père pose son verre et me dit d’un ton énervé. « Ces métiers demandent beaucoup de capacités physiques. Ce sont des métiers pour les hommes. Allez, va dans ta chambre. »
J’étais en quatrième, je devais avoir 13 ou 14 ans. C’était un samedi soir. Mes sœurs dormaient et mon frère était dans sa chambre. Il ne restait que mes parents autour de la table de la cuisine en train de boire un café. C’est à ce moment-là que je me suis décidée à aller leur parler de mon futur métier. Je savais que mon père n’apprécierait pas beaucoup mon projet professionnel, mais je ne pensais pas que son refus serait aussi catégorique.
Du déguisement au vrai métier
Il faut dire que mon père est du genre fermé. Il ne montre pas ses sentiments, alors que ma mère est plutôt attentive et donne tout le temps son avis. Ce soir-là, elle n’a même pas réagi. Je suis donc partie dans ma chambre. Toute la nuit je n’ai pas réussi à dormir, je réfléchissais. Je me demandais pourquoi ma mère n’avait rien dit.
Dans notre culture, celle des familles maghrébines, la plupart du temps, les femmes vont à l’école, puis se marient et ne travaillent pas. Ce sont les hommes qui ramènent l’argent à la maison. Mais moi, depuis toute petite, je rêve de devenir policière ou pompier.
J’adore les séries policières et les films sur les pompiers, comme 9-1-1, The Rookie : Le flic de Los Angeles, S.W.A.T., Hawaii 5-0. Mes idoles dans ces séries sont Athena Grant et Henrietta Wilson. En primaire je m’étais même déguisée en policière S.W.A.T. pour le carnaval. J’avais toute la panoplie : le gilet par-balles, le pistolet, les lunettes et le badge.
Au-delà du carnaval, mon père pense que vouloir devenir policière ou pompier quand on est une fille, ce n’est pas sérieux.
Encouragée
Le lendemain de l’annonce faite à mes parents, j’ai attendu qu’il y ait un moment où on était seules toutes les deux pour aller voir ma mère. « Maman, tu penses que ça serait possible pour moi de faire ces métiers ? De devenir pompier ou policière ? » Tout en me caressant les cheveux, elle m’a répondu : « Tu sais ma fille, moi avant je voulais faire l’armée. Mais mon père aussi avait cette mentalité : la femme ne doit pas travailler et surtout ne pas faire ce genre de métiers. »
Même si elle a été comptable, surveillante et bibliothécaire, ma mère a été déçue de ne pas pouvoir faire le métier dont elle rêvait. « Ne baisse pas les bras. Je veux te voir réaliser tes rêves », a-t-elle fini par me dire. Cette phrase m’a touchée et m’a donné envie de réussir.
Quelques jours plus tard, elle a décidé d’appeler une amie à elle dont le fils, plus âgé que moi, est pompier. Elle voulait lui demander des renseignements. Mais ça n’a pas été une si bonne idée. Après avoir raccroché, ma mère avait l’air dégoutée. Sa copine lui avait demandé si c’était pour mon frère. Alors ma mère lui avait répondu haut et fort, sans honte : « Non, c’est pour ma fille ». Mais son amie ne l’avait pas prise au sérieux. J’étais choquée et triste. Ça m’a découragée mais je n’ai pas oublié ce que ma mère m’avait dit.
Peur des critiques
La semaine suivante, ma mère a décidé de m’emmener chez la conseillère d’orientation. Celle-ci m’a recommandé un bac pro sécurité et prévention pour devenir policière ou d’aller faire pompier volontaire. Elle a commencé à appeler les écoles qui préparent à ces métiers… Puis est venu le moment de récupérer des papiers pour s’inscrire dans les écoles en question.
À ce moment-là, j’ai repensé à mon père, à mon grand-père, et aux conséquences que ça pourrait avoir de ne travailler qu’avec des hommes. Aux critiques que ça pourrait m’attirer, dans ma famille ou dans ma vie professionnelle.
Alors j’ai tout stoppé et j’ai décidé de m’orienter vers un autre métier. La conseillère m’a fait faire un test lié à mes goûts et mes envies. Comme j’aime beaucoup aider les autres et le soin, elle m’a conseillée d’aller en bac pro ASSP (accompagnement, soins et services à la personne).
Actuellement je suis donc en seconde ASSP. Mais dans le fond, j’ai toujours cette envie de devenir pompier ou policière. J’ai finalement décidé d’aller à la caserne la plus proche, pour m’engager comme pompier volontaire les week-ends.
C’est un premier pas… Et peut-être qu’un jour, je ferai le même métier qu’Athena Grant ou Henrietta Wilson.
Manel, 16 ans, lycéenne, Marseille
Crédit photo Pexels // CC Fredrik Öhlander
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