Gaya H. 15/01/2025

« La fac, pour moi, c’est fini ! »

tags :

Gaya, 24 ans, estime avoir fait un burn-out pendant sa licence d’archéologie. Elle ne désespère pas d’en parler un jour à ses parents, peu sensibles aux questions de santé mentale chez les jeunes.

J’ai fait un burn-out étudiant. Paradoxalement, je ne l’ai compris que lorsque ça allait mieux. Il faut dire que ce n’est pas quelque chose dont on parle souvent. Pourtant, cela n’a rien de rare. J’ai plusieurs amis qui sont passés par là et qui n’en ont pas parlé non plus, par peur des réactions ou par honte.

Juin 2022. Les résultats de mes examens de la fac tombent. Ils ne sont pas bons. Soit je rentre à Rennes pour les rattrapages, soit je redouble. Je préfère redoubler. Je suis en stage et je me dis qu’une année de plus en troisième année d’archéologie me sera plus utile.

En septembre, retour à la fac. J’ai du mal à suivre. Il faut dire que je n’ai jamais été quelqu’un de très scolaire. La charge de travail est énorme. Beaucoup d’exposés et de dossiers, chacun représentant en moyenne une dizaine de pages à rédiger.

« Tu n’y arriveras jamais »

La fatigue s’installe. Certains matins, je n’arrive plus à me réveiller. J’ai de plus en plus de mal à m’investir. Je fais mes dossiers au dernier moment. Je fais semblant d’avoir une extinction de voix pour retarder un oral. J’alterne des périodes où je reste enfermée dans ma chambre sans sortir et des moments où je squatte l’appart’ de mes potes.

Le deuxième semestre arrive. Nouveaux cours, nouveaux dossiers. Toujours plus de dossiers. La fatigue est omniprésente. Je suis de moins en moins motivée. Une question me trotte dans la tête : « Est-ce que j’aime toujours l’archéologie ? »

Pour me vider la tête, je vais en manif avec mon meilleur pote. On marche contre la réforme des retraites… C’est surtout pour penser à autre chose. On parle tous les deux de notre mal-être. Lui veut arrêter la fac. Moi je veux aller jusqu’au bout pour prouver à mes parents que je peux le faire. Surtout à mon père qui m’a dit il y a quelques années : « Dans la famille, tu es celle qui a le plus envie de réussir, mais tu n’y arriveras jamais. » Le genre de phrase qui marque quand on a 14 ans.

Les examens de fin d’année arrivent. Cette fois, j’ai l’impression d’avoir réussi. Je pars en stage dans le Limousin. On fouille un site néolithique. À la fin de la première semaine, la cheffe de chantier me dit : « Ce n’est pas normal que tu fasses autant d’erreurs et que tu n’aies pas fait plus de stages. » Pour la deuxième semaine, je dois faire les tâches ingrates : nettoyer le site, vider les seaux ou les brouettes des autres. Je ne suis plus incluse dans les fouilles et je ne peux plus apprendre.

Les résultats des examens tombent cette semaine-là. Je dois aller aux rattrapages. C’est dur. Ma cheffe de chantier me demande pourquoi, et là, je craque. Moralement, je suis plus bas que terre. C’est le coup de massue. Je ne comprends plus rien. J’ai bossé et je n’y suis pas arrivée.

Un mal-être incompris par la famille

Après ce stage, je retourne à Rennes et je charbonne tous les jours. J’ai six matières à rattraper. En juillet, j’apprends que j’ai obtenu ma licence d’archéologie. Mais je ne veux plus entendre parler de cette discipline. Ni de près, ni de loin. Je ne sais pas ce que je veux faire, mais une chose est sûre : la fac, pour moi, c’est fini.

Alors, ma mère me met la pression. « Il faut que tu trouves du boulot avant que la nouvelle vague de diplômés arrive sur le marché du travail ! » Elle ne se rend pas compte que je suis épuisée. Mon père, lui, ne me dit rien. De toute manière, on ne se parle pas beaucoup.

Je ne parle pas de mon burn-out à mes parents, car je sais qu’ils ne croient pas aux maladies mentales chez les jeunes. Je l’ai bien vu quand ma sœur a fait une dépression quand elle était au lycée. J’avais 11 ans. Mes parents n’y croyaient pas, malgré ce que disait le psy. Pour eux, ce n’était pas possible qu’une ado soit dépressive. Ils l’ont seulement admis quand elle a fait une tentative de suicide.

Mon père est de la vieille école. Il ne s’intéresse ni aux études, ni aux difficultés que j’ai pu rencontrer. Il travaille depuis qu’il a 18 ans. Il est chef de quai dans une entreprise de logistique. Pour lui, la santé mentale, c’est juste une question de volonté, ou au contraire de flemmardise. Sa devise : « Arbeit, Arbeit, nur Arbeit. » En allemand, ça veut dire le travail, le travail, toujours le travail. Étonnante devise pour un pur Breton.

Ma mère a gravi tous les échelons dans une grande surface. Elle est aujourd’hui adjointe du chef de magasin. Elle comprend que tout le monde puisse être touché par des soucis de santé mentale, mais ça reste un sujet sensible. Elle est plus impliquée que mon père dans mes études et a conscience qu’il peut y avoir un mal-être étudiant. On en a discuté, je lui ai donné des exemples. Mais elle n’arrive pas à comprendre que je fais partie de ces étudiants.

Aujourd’hui, ça va. J’ai fait un stage en ludothèque. Le fait de me concentrer sur les jeux de société et de les expliquer aux usagers a été une libération. Je m’amusais tout en travaillant. L’archéologie reste un domaine que j’apprécie, mais de là à travailler directement dans ce domaine, non ! Quant à mon burn-out, un jour, j’arriverai sans doute à en parler à mes parents, mais pas tout de suite. Je dois encore accepter moi-même cette période de ma vie.

Gaya, 24 ans, en recherche d’emploi, Carhaix

Crédit photo Pexels // CC Ron Lach

 

À lire aussi… 

Mon burn-out m’a dégouté du journalisme, par Hugo, 24 ans. Devenir journaliste, c’était son rêve. Mais après l’obtention de son premier contrat, il se heurte aux difficultés du métier. Entre horaires à rallonge, pression de la hiérarchie et vie personnelle sacrifiée, Hugo a vite déchanté.

Partager

Commenter