Hugo D. 09/11/2023

Mon burn-out m’a dégoûté du journalisme

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Devenir journaliste, c’est le rêve de milliers de jeunes qui intègrent chaque année l’une des 14 écoles de journalisme reconnues par la profession en France. Mais ils sont aussi nombreux à déchanter lors de leurs premiers contrats, entre horaires à rallonge, pression de la hiérarchie et vie personnelle sacrifiée. C’est ce qui est arrivé à Hugo.

« Monsieur, vous avez encore le choix d’aller mieux ! » Tels furent les mots de mon psychiatre. Une phrase qui peut paraître banale mais qui a grandement contribué à mon processus de guérison.

Si le métier de journaliste est souvent méprisé dans l’opinion publique, celui-ci me faisait pourtant rêver depuis mon plus jeune âge ; une période durant laquelle j’occupais mes soirées à commenter, avec mes yeux d’enfant, un nombre incalculable d’événements sportifs. J’étais certain d’en faire mon métier, il n’y avait pas d’autre choix possible.

C’est une fois mon diplôme obtenu que les premiers doutes apparaissent, accompagnés de quelques galères. Les bancs de l’école de journalisme sont désormais derrière moi, le Covid-19 frappe l’économie de plein fouet et, évidemment, le monde des médias n’est pas épargné. Sur les plateformes destinées à la recherche d’emploi, rares sont les offres arborant le mot « journaliste » sans comporter la mention « stage » ou « alternance ». Je comprends que le chemin sera long.

Après quelques désillusions et des stages qui ne débouchent sur aucun contrat pérenne, mes perspectives dans le monde du journalisme sportif s’assombrissent. À cette époque, je cherche un sens à ma vie, les réveils au milieu de l’après-midi n’en finissent plus de lasser mes parents. C’est à ce moment-là que le rédacteur en chef d’un petit média local me recontacte.

« Ça n’arrive qu’aux autres »

Mon truc, c’est le sport, mais là il n’y a plus vraiment le choix. L’appel ne dure que huit minutes. Suffisant pour me convaincre d’accepter une série de CDD de remplacement de deux semaines chacun, pour « arrêt maladie ». « Ce n’est pas un rhume », me lance le rédacteur en chef pour me convaincre de prendre le poste en me garantissant une expérience longue. Qu’importe. Les détails administratifs réglés, je suis convié à rejoindre ma rédaction dès le lendemain.

Si ma première semaine se déroule bien, mes collègues, devenus au fil des épreuves des amis, me confient alors la véritable nature de l’arrêt maladie de la personne que je remplace : burn-out. Je n’y prête pas plus attention que cela, en me disant : « Ça n’arrive qu’aux autres. Toi, tu es préparé. » Et si le rythme de travail soutenu des premières semaines me met sur les rotules, m’obligeant parfois à rentrer au domicile familial après 23 heures pour repartir aux aurores le lendemain matin, je plaide plutôt l’inexpérience. Après tout, notre cher rédacteur en chef passe son temps à mettre en doute notre organisation, celle de mes collègues et moi, alors comment remettre sa parole en doute ?

Après quelques mois, durant lesquels les heures de sommeil se comptent sur les doigts d’une main, je comprends qu’il est impossible de répondre aux attentes. Mais pas question d’abandonner. Comment pourrait-il en être autrement quand votre entourage vous répète sans cesse que c’est une grande chance d’avoir trouvé un emploi dans un milieu si précaire ? Comment pourrait-il en être autrement quand on vous apprend à ne jamais dire « non » dans les écoles de journalisme ?

Un mal qui persiste encore aujourd’hui

Les choses ne se sont pas arrangées. Quand un autre journaliste de la rédaction part en arrêt maladie, la pression s’accentue sur ma collègue et moi. Les journées semblent alors interminables et la possibilité d’avoir un appel ou un message de mon supérieur, généralement pour remettre en question mon travail, me submerge de crainte. Il n’y a guère qu’une fois où je suis félicité, après l’écriture d’un large dossier sur l’ouverture à venir d’une usine. C’est presque ma seule satisfaction dans cette douloureuse expérience. Le reste du temps, les différentes remarques remettent plutôt en question mes productions. J’essaie de faire bonne figure mais, forcément, ma confiance en moi est atteinte. Un mal qui persiste, hélas, encore aujourd’hui.

Lors d’une réunion présentant la future organisation de la rédaction, je touche le fond. Cette fois, aucune remarque n’est nécessaire. La simple lecture d’un article rédigé par la plus belle plume du groupe me fait prendre conscience d’une réalité : je ne prends plus de plaisir à écrire. Le rêve qui était autrefois le mien, celui de faire carrière sur le site internet d’une grande chaîne du service public, ne sera jamais exaucé.

Soucieux d’aller au bout de mon contrat, car c’est justement cette conscience professionnelle qui me permet de tenir, je continue tant bien que mal. Au mois de juin, après avoir craqué nerveusement à la suite d’un goûter, je songe à prendre, à mon tour, un arrêt maladie. Mais, à ma grande surprise, mon rédacteur en chef m’accorde un mois de vacances.

Une coupure nécessaire

Des congés salutaires. Pour la première fois depuis mon arrivée au sein de ce média, je peux voir mes amis et faire du sport. Il faut bien dire que cette activité est nécessaire tant le rythme effréné m’obligeait à dévorer régulièrement des fast-foods qui, couplés à un sommeil inexistant, viennent dessiner de larges bourrelets sur mon corps. Quelques kilos en trop contre lesquels je me bats encore aujourd’hui.

Ce mois d’août m’éloigne pour de bon du journalisme. Avec cette coupure, je réalise à quel point cette expérience est éprouvante sur le plan mental. Une semaine après la reprise, j’annonce mon départ à mon supérieur, refusant par la même le CDI qui m’est proposé. Si je n’attendais aucun retour sinon un message pour me dire qu’il prenait acte de cette décision, quelle ne fut pas ma surprise quand il décide de ne pas répondre. Dès lors, et jusqu’à mon départ, les contacts sont minimes.

Une porte de sortie

Mon calvaire a pris fin mais les dégâts continuent à être visibles. La dépression s’est installée et, comme je reste debout la nuit pour regarder les matchs de NBA, je suis fatigué le jour. Une situation qui occasionne quelques conflits avec mes parents qui ne comprennent pas ce que je vis, jusqu’à ce qu’une violente dispute éclate et qu’ils prennent conscience, enfin, que tous mes maux ne sont peut-être pas dus qu’à de la mauvaise volonté.

Je me mets à consulter des professionnels de santé et ça me permet d’aller mieux. Il est encore difficile d’imaginer un retour dans le monde du travail mais j’entrevois quelques possibilités. Un de mes anciens collègues journalistes s’est reconverti en professeur d’histoire-géographie. Son récit et les valeurs qu’il défend résonnent en moi. L’éducation représente alors à mes yeux une belle opportunité d’être utile aux autres. Une possibilité de « vulgariser » le savoir que je souhaitais déjà avoir dans le monde du journalisme.

Maxime était fier de son travail dans l’associatif. Sauf que les missions étaient floues, et son rythme de travail intenable. Le burn-out s’est vite invité.

Capture d'écran de l'article "25 ans, premier job, premier burn-out". Sur la photo, un visage d'homme placardé de post-it. On peut lire sur les post-it des phrases comme " take a break", " stop", "sleep".

Les retrouvailles avec les bancs de la fac ne sont pas idylliques, entre le manque de confiance en soi et le fait d’être nouveau dans des groupes où les autres étudiants se connaissent. Si mon expérience dans le monde du journalisme a eu bien des aspects négatifs, elle m’a aussi enseigné l’humilité et la rigueur, de façon trop extrême. Deux vertus essentielles à l’heure de préparer le Capes, la dernière épreuve de ma vie d’étudiant, je l’espère.

Aujourd’hui, la plaie n’a pas encore totalement cicatrisé. J’appréhende le retour prochain dans le monde du travail mais, pour conclure sur une note positive, j’ai compris que l’on peut être heureux sans avoir réalisé son rêve d’enfant.

Hugo, 24 ans, en formation, Billy-Montigny

 

Jeunes journalistes : le grand désenchantement

40 % des journalistes tiennent sept ans ou moins dans cette profession. Pourtant, elles et ils ont bossé pour obtenir leur place, ne serait-ce qu’en master : en France, seules 14 écoles sont reconnues par la profession, elles sont souvent payantes, et elles sont accessibles uniquement via concours sélectifs. Plusieurs facteurs poussent les journalistes à se réorienter (majoritairement vers l’enseignement et la com’), alors même qu’elles et ils ont enfin réussi à exercer cette profession :

Les conditions de travail : 66 % des journalistes de moins de 30 ans sont en situation de précarité (contrats courts, mal payés, heures sup’, etc.). Ces conditions sont souvent couplées à un manque de reconnaissance de la hiérarchie : le cocktail explosif qui déclenche les burn-outs.

Le manque de perspectives : on leur répète depuis leurs études que les médias sont en crise et qu’il ne faut pas s’attendre à travailler dans de bonnes conditions. Après plusieurs années de précarité, elles et ils ne voient pas le bout du tunnel.

Les discriminations : 44 % des journalistes considèrent avoir été victimes de discriminations au travail, qu’elles soient liées à la classe sociale, à l’origine, au genre ou à l’âge. Et vu les polémiques autour des photos de promo des écoles de journalisme cette année… on n’est pas prêt·es de voir de la mixité dans les rédactions !

– La désillusion : dans le journalisme, on parle de « métier passion », ou de vocation depuis l’enfance. On rêve de reportages à l’autre bout du monde, d’interviews politiques musclées, de journées passées sur le terrain. La réalité de 85 % des journalistes est toute autre : être assis·e derrière un ordinateur à subir une pression importante pour travailler le plus rapidement possible.

La défiance : plus de la moitié des Français·es disent se méfier des médias. Ce manque de confiance pèse sur les jeunes journalistes, qui sont confronté·es à la critique (parfois peu constructive) de leur métier dans le cercle pro mais aussi perso.

Malgré tout, les bancs des écoles ne désemplissent pas lors des concours : tous les ans, chacune des 14 écoles reçoivent environ 1 000 candidatures… pour des promos qui comptent entre 20 et 60 élèves.

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1 réaction

  1. Magnifique article, fier de toi mon frère ♥️

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