Olivier A. 10/01/2025

« À la rue, le simple fait qu’une personne te parle, ça fait du bien »

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Avoir froid. Vivre avec les rats. Se doucher avec des bouteilles en plastique dehors, à 4 heures du matin. Olivier a vécu le pire avec ses parents pendant sept mois. Et le meilleur… de la solidarité.

À chaque fois qu’il pleut, je repense à la période où je dormais sur un banc. L’eau finissait par traverser la bâche qui nous abritait, mes parents et moi. Aujourd’hui, j’ai une chambre. Il y a juste un matelas dedans. On vient d’emménager avec mes parents. Dans le nouvel appartement, tout est propre. Mais avant tout ça, on a fait du chemin.

En 2023, après avoir quitté notre deuxième hôtel social dans le 77, on arrive à Paris avec mes parents. On est à l’hôtel de L’Europe. Mon père doit payer tous les jours. Les prix varient. Un jour ça peut être 70 euros. Le lendemain, 90 euros. Une fois, on a payé 210 euros pour une nuit. On n’arrivait plus à suivre. À un moment, on s’est dit qu’on n’y arriverait plus. De là, on a passé sept mois dans la rue.

On a pris des affaires. J’ai gardé l’essentiel : mon téléphone, une multiprise, mon chargeur, une tablette. Ma mère a pris son téléphone et quelques médicaments. Mon père, les papiers importants. Comme habits, j’avais peut-être cinq joggings et quatre ou cinq t-shirts. C’est tout. On n’avait pas de couvertures au début. Des gens ont fini par nous en donner.

Vivre avec les rats

Mon père a voulu qu’on aille à côté d’une église. Il se disait qu’ils pourraient peut-être nous accueillir. Finalement, ils n’ont pas pu nous héberger, parce que c’est un monument. Même en donnant de l’argent, on ne pouvait pas. On y allait la journée pour recharger nos portables, et ils nous donnaient du pain quand ils pouvaient.

Une personne, Albert, faisait des distributions pour ceux qui étaient dehors. Il passait dans la rue avec un gros sac et il nous donnait plusieurs baguettes. Sauf qu’il y avait le problème des rats. Ils rentraient dans le sac où on les rangeait et ils les mangeaient. Quand ils nous ont vus, ils se sont dit que c’était la banque alimentaire ! Qu’ils pouvaient venir tous les jours !

On ne pouvait donc plus manger le pain. Si les rats pissent dessus ou sur le rebord d’une bouteille, on peut choper des maladies. Même mes câbles de chargeurs ont été rongés ! Je dormais sur le banc. Mes parents dormaient sur un matelas juste à côté. Des fois, les rats se baladaient près de leurs têtes quand ils dormaient. Ils restaient là, pour se réchauffer. Ils avaient froid, eux aussi.

Ma mère avait l’allocation adulte handicapé. 900 euros. Mon père avait une allocation chômage. Avant, il travaillait dans la restauration. Au début, on arrivait à manger. On allait au Casino à côté, ce n’était pas trop cher. Au bout de quelques mois dehors, mon père ne percevait plus son allocation. Et chercher du travail quand on est à la rue, c’est compliqué.

Des gens nous donnaient du poulet, du riz chaud, du jus, de l’eau. On essayait de faire trois repas par jour, mais c’était dur. On peut dire qu’on a eu un peu de chance, parce que juste en face de nous, il y avait des restaurants. Des fois, ils nous passaient à manger. Une dame, Juliette, qui allait à l’église, nous voyait souvent. Elle venait nous aider en nous apportant de la nourriture. Les gens respectaient beaucoup ma mère. Ils lui disaient bonjour et étaient gentils avec elle.

Oublier les soucis

J’allais laver des habits à la laverie. Quand on n’avait pas d’argent, on lavait à la main. Pour se laver aussi, c’était une galère. Les bains-douches étaient constamment en réparation. Donc j’ai trouvé une technique. J’allais derrière les toilettes publiques vers 4 heures du matin, quand il n’y avait personne dans la rue, et je me lavais avec des bouteilles en plastique que je remplissais au parc.

Une dame avec un chien venait tous les jours de 16 heures à 16h30. Je jouais avec le chien. Je prenais un bâton, il me suivait. Ça me permettait d’oublier. Après, même quand il me voyait et que je n’avais pas de bâton, il me regardait avec insistance. C’est fou comment un chien peut faire oublier les soucis.

Des fois, j’allais au parc de Belleville, à un endroit où il y a du réseau, pour télécharger des films. Ça m’a aidé à faire passer le temps et à oublier. Je regardais les films Walter, Kung Fu Panda 3 et Transformers : l’âge de l’extinction, en boucle. Je les connaissais par cœur.

Comme on ne pouvait pas avoir de tente, on avait une bâche bleue que des personnes de l’église nous avaient donnée. Avec une corde, on l’a accrochée à des arbres. Il y avait quatre arbres et deux bancs à cet endroit-là. À un moment, il y a eu des grosses averses et ça traversait la bâche. Plus il pleuvait, plus l’eau s’infiltrait et ça finissait par nous mouiller. Ma mère appelait le 115 à peu près tous les jours. Il faisait froid. Et on a tenu.

« Sortir de dehors »

On était dans notre coin. On ne demandait pas spécialement d’argent. Des gens nous en donnaient spontanément. Il y a aussi des gens qui nous demandaient de quoi on avait besoin. Je peux vous dire que quand on est dehors, le simple fait qu’une personne te parle, ça fait du bien. Ça prouve que tu n’es pas trop invisible.

Au bout d’un moment, tout le monde nous connaissait. La police municipale passait régulièrement. Elle signalait à la mairie du 20e qu’il y avait une famille dehors. Ça n’aboutissait à rien. Ils comprenaient, ils donnaient des conseils. Ils nous ont même suggéré de nous installer devant la mairie de Paris, pour que le maire voit. Finalement, c’est le maire de l’arrondissement qui est venu voir mes parents. Le prêtre lui avait parlé de nous. Ça a commencé à aller mieux à partir de là.

Grâce à une association, France Horizon, qui accueille les personnes à la rue, on a été hébergés dans un ancien lycée. On dormait sur des lits de l’armée. Des trucs plats avec des barres de fer, qui font du bruit quand ça bouge. On est restés là à peu près trois mois. Jusqu’à ce qu’on reçoive la bonne nouvelle : on avait un logement dans un HLM dans le 17e !

Quand j’étais dans la rue, des gens me parlaient de la mission locale. Mais j’attendais de « sortir de dehors » pour y aller. Aujourd’hui, j’y suis, à la mission locale. Ils m’ont dit hier que j’aurai 552 euros par mois. Il m’arrive de repasser devant le banc et de me dire qu’il y a quelques mois, j’étais là. Je ne sais même pas comment j’ai réussi à dormir sur ce banc. J’aimerais retourner voir tous ces gens qui nous ont aidés.

Olivier, 20 ans, en recherche d’emploi, Paris

Crédit photo Pexels // CC viresh studio

 

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