Marion D. 27/05/2025

Malaise aux JO de Paris

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Pendant les Jeux olympiques de Paris, Marion, 20 ans, a décroché un job étudiant à la RATP. Très vite, les conditions de travail se sont révélées intenables. Malaise, douleurs, pression constante : au bout de trois jours, elle a été contrainte de démissionner.

Pour la première fois de ma vie, un travail a mis ma santé en danger. Malgré l’importance de ce petit boulot pour mes ressources financières, j’ai été forcée de démissionner. 

Nous sommes en juillet 2024, en pleine période des Jeux olympiques de Paris. C’est l’effervescence dans la capitale. Je suis dans ma première année d’études en littérature. J’essuie les refus de travail étudiant dans le domaine du livre. Les employeurs préfèrent des candidats avec de l’expérience. Je me résigne donc à chercher un job ne demandant pas d’expérience particulière. Comme je n’ai pas de prétentions salariales ni de connaissances de ce que sont de bonnes conditions de travail, je suis la candidate parfaite pour des employeurs peu scrupuleux. 

Après trois mois de recherche, je suis enfin acceptée par une boite d’intérim. Celle-ci est missionnée par la RATP pour trouver des agents pour accueillir et orienter les usagers et les touristes venus voir les compétitions. Pendant l’entretien d’embauche (collectif, ce qui nous rassurait sur le fait que nous allions tous être pris), je suis mise en confiance au sujet de mes missions. Je pense naïvement que je serai assise derrière un guichet pour aider les touristes à prendre des tickets et se repérer.

Missions, interdictions

La vérité est tout autre. Premier jour de travail, le vendredi 26 juillet, à 7h15. Nous sommes plus de 20 intérimaires dans un local de la RATP, à Bercy. Nous tentons tant bien que mal de nous mettre en tenue sans être perturbés par la promiscuité de l’endroit. La pièce n’est pas plus grande que ma chambre étudiante. Moins de 10 mètres carrés. L’heure du début de la mission approche. Notre supérieur nous met dos au mur et fait une photo de groupe. Ceci se reproduira tous les jours, pour vérifier les absences et l’heure de prise de service. Je m’attendais à une simple fiche de présence. Je suis interloquée.

J’écoute attentivement les instructions durant lesquelles nous sommes divisés en groupe de deux et dispersés aux quatre coins de la station de métro. On nous annonce la couleur en nous décrivant enfin nos missions et nos interdictions. Nous devons nous tenir debout. Nous n’avons pas le droit de nous asseoir, ni de nous avachir contre le mur. De plus, pour paraître disponibles aux yeux des clients, nous ne pouvons pas parler avec nos collègues. 

Au bout d’une heure de travail, mon poste m’ôte toute énergie. J’ai mal aux pieds. J’ai mal au dos. J’ai mal à la tête. Et le pire : je suis inutile aux usagers, qui connaissent très bien leur itinéraire. J’arrive quand même à trouver une occupation en cherchant un itinéraire sur mon téléphone pour les quelques touristes qui ont perdu leur chemin. Malheureusement, ça ne dure pas. 

Je suis surveillée par les caméras. Un responsable arrive et me dit : « Utilisez les plans en papier et arrêtez de sortir vos téléphones, même pour renseigner les clients. » Résultat ? Je manque d’efficacité. Les clients sont en colère. Ma première journée de travail commence bien. Et ce n’est que le début !  

État pitoyable

En plus de cet ennui pesant et de mes nombreuses douleurs, le froid se fait maintenant sentir dans toute la station. Là encore, les interdits tombent. Pas le droit de mettre de pull. Il faut que le t-shirt et le gilet de la RATP soient bien visibles. 

J’attends ma pause de midi avec impatience. Elle finit par arriver. Je suis déjà dans un état pitoyable. J’ai le corps consumé par le stress et la douleur. Je ne peux rien avaler. Je reviens à mon poste aussi épuisée qu’il y a une heure. 

Les choses se compliquent. Un autre supérieur m’explique qu’une ligne sera totalement fermée pendant plusieurs heures. Moi qui n’ai pas très bien supporté l’agressivité des passagers, la fin d’après-midi me rend totalement anxieuse. Et mes supérieurs ne me sont pas d’un grand soutien. Restent quelques minutes avant la fin de mon service. Je tombe dans les pommes. Impossible de me lever pendant un quart d’heure. 

Quand je reprends conscience, une de mes collègues est agenouillée près de moi. Elle me dit de m’allonger totalement en attendant les secours. Les pompiers arrivent rapidement. Ils étaient déjà présents dans la station. Je leur dis que ça va aller, qu’il faut juste que je souffle, que quelqu’un doit venir me chercher. 

Je cherche tant bien que mal mon téléphone pour envoyer un message à mon petit ami. « Je viens de faire un malaise. Ne t’inquiète pas. Les pompiers m’ont prise en charge. » Évidemment, il s’inquiète. Il s’excuse de son retard. Il sera là dans cinq minutes. 

Une de mes collègues m’accompagne à travers la station pour récupérer mes affaires. Mon copain arrive. Je fonds en larmes dans ses bras. 

« Dix heures par jour debout »

Le lendemain, je commence à 8 heures. Ça me fait me lever à 6h30. Je suis épuisée. Je ne peux pas me lever. Je me dis que je vais arrêter. Les avis de mes proches sont partagés. Quand certains me disent que mes conditions de travail ne sont pas si anormales que ça, d’autres m’intiment de tout arrêter et de me reposer. Je ne sais pas quoi faire. Je décide tout de même de m’accrocher. 

J’y retourne deux jours. Je pensais que mon malaise leur avait fait prendre conscience que les conditions étaient abusées. Je revis juste les mêmes jours que le premier. Sans tomber dans les pommes. Mais entre l’ennui et la douleur aux pieds, je déchante.

J’ai décidé d’arrêter les dégâts. J’ai gagné 300 euros. 300 pour passer dix heures par jour debout, quasiment sans pause, pendant trois jours. 

C’était ma deuxième expérience professionnelle. Avant celle-ci, j’ai été caissière à Intermarché. C’était tout aussi éreintant et ennuyeux que ce travail, mais au moins, le droit du travail était respecté. J’imagine assez mal mon futur professionnel. Si à chaque fois que je travaille mon job ne sert à rien, que je suis mal payée et mal physiquement, à quoi servent toutes mes années d’études ? Est-ce que ce sera la même chose une fois mon master en poche ? Est ce qu’à un moment dans ma vie, je serai épanouie au travail ? 

Marion, 20 ans, étudiante, Nanterre

Crédit Photo Hans Lucas // © Myriam Tirler – Photo issue de la série « Employés de la RATP pendant les JO de Paris ». Paris, le 9 août 2024.

 

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