Déjouer tous les pronostics
Quand les autres enfants jouaient au ballon, moi, j’allais me cacher dans un coin de la cour. Tout seul. Pour observer des insectes et des animaux. Cette difficulté à m’intégrer auprès des autres enfants de mon âge a fait naître un malaise en moi. Je me suis progressivement isolé et enfermé dans un mutisme. J’étais considéré par ma maîtresse de maternelle comme un enfant « incapable de suivre un parcours scolaire classique ». « Jean, tu es un enfant très intelligent et si tu fais des efforts, tu auras des résultats ! »
Quand j’avais 6 ans, lors d’un entretien avec un psychiatre, je ne tenais pas en place. Je jouais avec les stylos et le tampon du médecin. Une fois que je m’en étais lassé, je m’étais levé et j’avais commencé à courir dans le cabinet. Le psychiatre a alors dit à ma mère : « Madame, votre enfant à un TDAH [trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité, ndlr]. » « Oui, je sais, je m’y attendais », a-t-elle répondu. Elle avait fait des recherches sur ma situation avant le rendez-vous. À cette période, il était presque impossible pour mes parents de me faire faire mes devoirs sans qu’il n’y ait des interruptions.
TCC et tuteurs privés
Tout cela était encore très mystérieux pour moi. Je percevais les différentes thérapies que mes parents m’ont fait suivre comme une perte de temps. Aujourd’hui, j’ai enfin le recul nécessaire pour me rendre compte à quel point ça m’a aidé.
J’ai effectué de nombreuses TCC, des thérapies comportementales et cognitives. Mes parents ont engagé des tuteurs privés pour me pousser à travailler. Cela m’a permis de passer l’école primaire avec de bons résultats.
Pour la rentrée au collège, j’ai pu intégrer un établissement de bon niveau et réputé très exigeant. Mais le choc a été trop brutal pour moi. Les professeurs me demandaient de la rigueur, de connaître mes leçons par cœur et de m’organiser dans mon travail. Ces changements étaient très difficiles à cause de mon trouble de l’attention. Dès mon premier trimestre de sixième, j’ai donc eu un « avertissement travail » dans mon bulletin, au plus grand désarroi de mes parents.
Harcelé
Mes mauvais résultats et mon habitude à rester dans mon coin ont rapidement fait de moi une cible pour les autres élèves. Une fois, après la récréation de 10 heures, je suis rentré en cours de latin et, sous ma trousse, j’ai trouvé un mot anonyme disant : « Jean, au nom de la classe, tu est moche, pas intelligent, et personne ne t’aime ! »
Au début de l’année de quatrième, j’ai décidé d’en parler à mes professeurs. Les personnes qui m’harcelaient ont été convoquées dans le bureau du directeur le jour même et exclues pour une période d’une semaine. Cette réaction ferme et immédiate de l’école a rendu ma vie scolaire plus agréable.
Boule au ventre
À la fin de cette année-là, il y a eu le confinement. Avec ma naïveté d’enfant, je l’ai célébré, pensant que je pourrais échapper à l’école sans conséquence. J’étais fatigué des trois années précédentes d’efforts et je me suis laissé aller à la facilité. Je faisais acte de présence pendant les cours en ligne, tout en jouant aux jeux vidéo. Je ne faisais plus mes devoirs et n’apprenais pas mes cours.
En septembre 2020, je suis rentré en troisième. Cela faisait six mois que je n’avais pas travaillé sérieusement. Très vite, l’anxiété a commencé à s’installer. J’avais peur du regard de mes parents. J’avais peur d’être interrogé par mes professeurs. Malgré leur bienveillance évidente, je voyais des ennemis partout. J’avais la boule au ventre. Je n’arrivais pas à m’exprimer correctement. Plusieurs fois, j’ai dû rentrer à la maison en plein milieu de journée.
Fuir la réalité
Pour occuper mon esprit, je passais beaucoup de temps sur les écrans. J’ai aussi commencé à beaucoup manger et prendre du poids. C’étaient des moyens de fuir la réalité pour un autre monde. J’étais complètement absorbé. Encore une fois, mes parents n’ont pas abandonné. J’ai quand même obtenu mon brevet avec un taux d’absentéisme record.
À la rentrée de seconde, j’ai réussi à reprendre les cours. Grâce aux conseils de mon psychiatre, j’ai pu bénéficier de plusieurs aménagements. J’avais ce qu’on appelle un tiers temps, c’est-à-dire du temps en plus pour finir les examens ou moins de questions. J’avais des horaires aménagés pour alléger mes journées. Et je pouvais demander à sortir de cours si j’avais besoin d’une pause.
Ma meilleure année de cours
Cette année-là, j’ai compris que j’avais une passion pour les sciences. En première, j’ai pris les spécialités maths, physique, et numérique et sciences informatiques. L’année de terminale fut ma meilleure année de cours. Mes résultats étaient bons, surtout en mathématiques. J’étais passionné. Je faisais tout seul des exercices supplémentaires et même du hors programme.
J’ai cherché un métier en accord avec ce que j’aimais. J’ai découvert celui d’ingénieur en informatique. Alors, au printemps 2024, j’ai passé les concours pour intégrer des écoles d’ingénieurs. Quelques mois plus tard, j’ai sélectionné l’école de mon choix sur Parcoursup. J’y étudie actuellement.
Bien que je sois contraint de faire une pause dans mes études à cause de problèmes de santé, les deux mois et demi que j’ai pu faire en début d’année ont été incroyables. Les cours sont passionnants. Je me suis fait des amis. Je prévois de reprendre dans la même école en septembre 2025. J’ai enfin l’impression d’être à ma place.
Jean, 18 ans, étudiant, Saint-Cloud
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