Le filtre du cool
Je ne fume pas. Dans ma famille, personne ne fume. J’ai 21 ans, et ce n’est que l’année dernière que j’ai touché à une cigarette pour la toute première fois de ma vie. Touché oui, mais juste avec les doigts. La cigarette, je ne l’approche pas de ma bouche : j’ai peur qu’elle s’entende trop bien avec mon anxiété. J’ai peur de finir comme tous les gens qui commencent par une en soirée, puis une tous les week-ends, puis tous les soirs, puis toute la journée, et qui se rendent compte quand ils sont déjà bien hameçonnés qu’ils aimeraient « en fait oui c’est vrai peut-être » bien arrêter.
On dit que de moins en moins de jeunes fument, mais je fais du théâtre et j’ai fait des études à Tolbiac : je peux vous dire que le marché de la cigarette a encore de beaux jours devant lui. Presque tous les gens de mon âge autour de moi fument ou ont déjà fumé. Pareil pour la beuh.
Et même si personne ne s’est jamais moqué de moi parce que je ne fumais pas, je ne me sens pas toujours à l’aise quand vient le moment où mes pairs s’attroupent pour renouveler le rite initiatique de la jeunesse cool et détendue. Par exemple, il y a quelques jours, lors d’une soirée avec mon groupe de théâtre, on m’a proposé de fumer un joint. J’ai dit « non merci », mais tout le monde s’est saisi de l’objet sacré, l’a porté à ses lèvres, inspiré, plissé les yeux, expiré, souri puis passé à son voisin. Un moment de communion, quasi-religieux. Tout de suite après, quelqu’un m’a demandé « et tu ne bois pas d’alcool non plus ? », comme pour me situer sur l’échelle de l’ascèse, du dessèchement et de l’obéissance à son papa et sa maman. Exclue du cercle des adultes qui connaissent la vraie vie, le lâcher-prise et la couleur de l’interdit, je transgressais la norme du cool.
Quelque chose en moi qui résiste
« Mais enfin Esther, tu peux fumer une seule cigarette, ou juste une taffe, pour essayer, pour voir. Tu ne vas pas être addict en ne fumant qu’une fois », me direz-vous. Certes. Oui, ça ne me coûtera rien d’essayer. Oui, ça ne veut pas dire que je vais développer immédiatement une dépendance et mourir d’un cancer foudroyant. D’ailleurs, à chaque fois que des gens autour de moi fument, je me tâte à essayer.
Sauf que j’en viens toujours à la même conclusion : pour quoi faire ? Qu’est-ce que fumer une seule fois va m’apporter ? Il y a quelque chose en moi qui résiste, je ne sais pas. C’est peut-être juste de l’égo sous forme d’esprit de contradiction, mais je n’ai pas envie de fumer simplement parce que tout le monde l’a déjà fait une fois dans sa vie. Je ne veux pas faire quelque chose que tout le monde fait parce que tout le monde dit que tout le monde l’a déjà fait, ça n’a aucun sens. Je n’ai pas envie de fumer pour prouver à moi-même et aux autres que « si, si, je vous le promets, regardez ! moi aussi, j’appartiens au domaine du cool ! »
Esther, 21 ans, volontaire en service civique, Rochefort
Crédit Unsplash
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