J’habite à Argenteuil mais je vis à Paris !
Le réveil sonne. C’est la deuxième sonnerie. Il est déjà 6 h 50. Je m’habille, me lave les dents, et hop c’est parti. On part d’Argenteuil pour arriver dans le 6e arrondissement de la capitale. Je marche, je prends le train, puis je remarche, et je prends le métro, et je remarche encore. Trajet de quarante-cinq minutes pour aller au lycée et c’est comme si j’avais déjà eu mes six heures de cours.
J’ai l’impression que je n’ai pas eu le temps de dormir et de recharger mes batteries. Mais bon, pas le choix, mes parents ne souhaitent pas que je fasse ma scolarité dans une ville comme Argenteuil…
Un trajet et deux univers différents
Argenteuil, ce n’est pas très bien réputé. C’est une ville associée au trafic de drogue, connue pour sa délinquance, ses agressions à mains nues ou à coups de couteau… et maintenant l’assassinat d’une fille de 14 ans. Ce qui a légèrement fait peur à mes parents. Alors ils ont choisi de me scolariser à Paris, dans un lycée privé. Hormis le fait que je voulais faire une spécialité particulière, ils voulaient que je fasse mes études ailleurs. Je comprends leurs choix, j’aurais aussi choisi ça pour mon enfant.
Côtoyant à la fois les pavillons, les bourgs et les barres d’immeuble, le RER traverse tous les territoires et milieux sociaux. Dans un article Vice, le sociologue Julien Noble explique pourquoi ce transport commun est perçu comme le plus anxiogène d’Ile de France.
Ami fidèle et souvent relou du banlieusard, le RER est un grand sujet de discussion pour ses 3 millions d’usagers quotidiens https://t.co/inS8c7ICTC
— VICE France (@VICEfr) April 10, 2019
Découvrir Paris m’a permis de couper les ponts avec cette ville. Les lieux d’Argenteuil, « les potes du collège », et juste l’atmosphère, devenaient clairement étouffants. Entre le harcèlement de rue où le gars peut te suivre jusqu’à ce que tu lui lâches ton numéro ou ton Snap, les altercations, et le ton qui monte très vite, il suffit d’un geste pour que ça dégénère. Ce qui arrive bien moins souvent à Paris. Couper les ponts pour tout refaire, parce que c’est ce qui m’a fait le plus grand bien, loin de là où je vis.
Paris, ville inaccessible pour les banlieusards
Quand j’ai annoncé que je partais à Paris, mes camarades du collège étaient surpris. En vrai, quel plaisir de voir leurs têtes étonnés que j’avais été prise. J’étais si fière. Pour eux, c’est un peu inaccessible. Même si la ville est proche, c’est dur en tant que banlieusard : on a dû être une dizaine du collège. Les lycées prennent plus facilement les élèves qui habitent à côté. Et si tu n’as pas un excellent bulletin et un bon projet professionnel, c’est mort.
Mon dossier était loin d’être le meilleur, mais j’avais aussi un projet professionnel très forgé grâce à mes stages. Ça a dû faire la différence. Je mets les bouchées doubles cette année pour bien montrer qu’on ne m’a pas prise pour rien.
Maintenant, je « vis » à Paris car je passe la plupart de mon temps ici. Même hors des cours, je sors de chez moi, je prends le premier train direction Paris Saint-Lazare. Les balades dans Argenteuil, ça ne fait pas rêver. Bon, je vous parle de balade comme si on pouvait sortir… Entre le lycée et les transports pour rentrer, je ne sors pas beaucoup, voire pas du tout… crise sanitaire oblige.
Pour les Parisiens, je suis « la trafiquanté »
Sans vous mentir, ce trajet m’oppresse pour aller en cours tous les jours. Le matin quarante-cinq minutes, puis le soir encore… C’est lourd. Vivre dans cet entre-deux me fatigue : métro, boulot, dodo. Je n’en peux plus, j’ai l’impression de faire que ça, Paris–Argenteuil, Argenteuil–Paris.
Dans le TER qui amène Antonin au lycée, selon les stations et le niveau de richesse des villes traversées, il voit les classes sociales se succéder.
Puis, quand je suis à Paris, on me qualifie d’Argenteuillaise, de trafiquante. Mes potes parisiens se fournissent en substances là-bas. Au moins, ça me fait un bête de surnom : « la trafiquanté ». Et quand je suis à Argenteuil, on me qualifie de Parisienne. Le peu de potes qu’il me reste m’appelle comme ça à chaque fois qu’ils me voient.
Ça nous fait rire parce que, au final, je ne suis ni l’une ni l’autre. Je n’appartiens plus à Argenteuil, mais je n’appartiens toujours pas à Paris. Je me dois d’être différente dans les deux villes. C’est ça ce qu’on attend de moi, non ?
Marie, 15 ans, lycéenne, Paris
Crédit photo Unsplash // CC Hannah Cauhepe