Sarah T. 18/06/2021

Mon père est autiste

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Sarah a grandi avec un père autiste. Petit à petit, elle a appris à le comprendre. Vivre avec lui a enrichi sa façon de voir le monde.

Ciel étoilé, sur le balcon des vacances, mon père est à côté de moi, et me raconte l’incroyable histoire de l’univers. Ma relation avec lui a toujours été bercée par la connaissance et la culture. Pour lui, apprendre sans arrêt, découvrir et se passionner, c’est comme ça qu’on doit fonctionner. Tout le reste passe après. Les soirées, les amis, les amours, les sentiments. Toutes ces choses qu’un adolescent basique met sur un piédestal, lui les a exclues de sa vie. Ça s’appelle l’autisme.

Ne pas savoir se sociabiliser, penser différemment, ressentir des choses inexplicables et ne pas savoir les exprimer est une difficulté majeure dans la vie courante, et pourtant, toutes ces personnes qui fonctionnent à la limite de la robotisation sont passionnantes.

Son univers est partagé entre sa bulle confortable et sa famille, vu qu’il est entouré de deux femmes, ma mère et moi, hypersensibles, qui ne cessent de remettre en cause sa façon de réfléchir. Je me souviens qu’étant enfant, le fait que je travaille sur mon lit le rendait fou. Dans sa manière de penser et de voir les choses, on travaillait sur un bureau et rien d’autre. Travailler sur un lit ne ferait que nous déconcentrer et rendre une mauvaise qualité de travail. Je ne suis pas très scolaire et pour me motiver c’était la solution la plus simple, mais lui ne le comprenait pas.

Pas de « je t’aime » ni d’affection

À la maison, les cris font souvent surface. C’est difficile de se mettre à la place de l’autre. Quand on est enfant, on ne comprend pas pourquoi son propre père est le seul à ne pas être là au dîner de famille, à ne pas partir en voyage avec tout le monde. Pourquoi dormir autant ou s’enfermer dans son travail ? Pourquoi ne manifeste-t-il jamais d’expression de tendresse ? Pas de « je t’aime » ni de mots affectifs, et jamais l’expression de fierté sur le visage de celui qu’on veut impressionner.

Bien qu’on ne soit pas souvent d’accord, ses difficultés apportent tant de connaissances, une manière différente de penser, de réfléchir et de voir les choses, une ouverture que d’autres n’ont pas la chance de connaître. C’est très inspirant de voir une personne se passionner autant pour n’importe quel sujet. Aller toujours chercher le pourquoi du comment, la pièce manquante du puzzle et la fin de l’énigme. Observer un mode de fonctionnement totalement différent, et des compétences incroyables.

Dans le podcast Bande d’Autistes !, l’épisode 4 aborde les intérêts spécifiques des personnes autistes. Explication par la narratrice, Marine, elle-même autiste.

Enfant, j’aimais déjà jouer aux échecs avec lui, apprendre des stratégies, regarder des séries policières et trouver le coupable. J’avais toujours une multitude de questions dans la tête et toujours une réponse, qui dérivait sur un autre sujet tout aussi intéressant.

Un parent autiste, on veut l’impressionner

On pourrait penser que son intelligence se développe seulement sur des choses scolaires, et pourtant. Le dimanche matin, je le revois assis au synthé en train de composer des mélodies qu’il programme, pour ensuite les accompagner à la batterie. Grandir dans un univers aussi divers et rempli de savoirs est une réelle chance, auquel j’ai tourné le dos à un moment. Maintenant, je m’en rends compte et le regrette.

Le fait d’avoir un de ses parents qui réfléchit en permanence ou qui, on pourrait croire, a la science infuse, force à se comparer aussi. On veut toujours faire mieux, on veut l’impressionner, être à la hauteur de ses attentes. Au final, au lieu de profiter de son savoir, je me suis mise une pression qui m’a éloignée.

L’autisme c’est une barre d’énergie et en bas c’est le burn-out

Mais ça n’a pas que des bons côtés. Les autistes Asperger sont des gens en permanence en sur-adaptation. Ils ne vivent pas comme ils le devraient. L’image que me donnait ma mère pour m’expliquer est la barre d’énergie. Ils ont, en quelque sorte, une barre d’énergie et plus ils grandissent, plus elle descend. Quand elle arrive en bas, c’est le burn-out.

Il y a cinq ans à peu près, du jour au lendemain, pendant six mois, il était à la maison. Je le voyais quand je partais le matin et il était là quand je rentrais le soir. J’étais petite et je me réjouissais de cette situation, puisque je pouvais enfin passer plus de temps avec mon père qui normalement travaillait tout le temps et était plongé dans son travail.

Quelques années plus tard, j’ai compris en parlant avec ma mère qu’en réalité il n’était plus capable de se lever le matin et de fournir assez d’énergie pour travailler. Il était tombé au plus bas et il avait fallu beaucoup de repos pour qu’il puisse repartir. Quand j’ai appris les choses, j’ai été très surprise. Jamais je n’avais été confrontée à quelque chose de réellement grave. Je culpabilisais de ne rien avoir vu et même d’avoir profité de ces six mois.

Son autisme dépasse sa volonté…

Il y a plein de choses qui lui sont inaccessibles. Rester dans un espace confiné avec une foule, les bruits trop forts, la lumière qui l’agresse. Prendre le train, l’avion, prendre trop longtemps la voiture… Une fois, je devais aller chez mes grands-parents. Le voyage se passait bien mais on s’est arrêté, mon père a appelé mon grand-père, on a passé la nuit dans un hôtel et le matin mon grand-père est venu nous chercher. Il n’a pas pu continuer le voyage, car il avait la tête qui tournait et était incapable de conduire. Je ne mesurais pas vraiment la situation mais je savais qu’il y avait un problème. Le fait de le voir me rendait triste. Il aime faire plaisir et il s’en voulait de ne pas nous avoir amenés et de causer le déplacement à mon grand-père.

La chose pour laquelle je lui en voulais le plus, c’était de ne jamais être là avec ma famille, aux repas, aux mariages, aux anniversaires. Je ne comprenais pas pourquoi il n’y arrivait pas. J’ai encore un peu de mal puisque son autisme est présent, mais c’est psychologique, et la famille passe avant tout.

L’autisme est difficile à diagnostiquer chez les filles. Émilie se sent différente depuis toujours, mais faute de médecins spécialisé·e·s là où elle habite, elle reste actuellement avec ses questionnements et sans diagnostic.

Malgré ça, le cerveau et le corps sont reliés et j’ai conscience que ces difficultés dépassent sa volonté. On ne le voit pas toujours mais, quelle que soit leur manière de penser, nos proches nous aiment et nous aimerons toujours.

 

Sarah, 15 ans, lycéenne, Paris

Crédit photo Unsplash // CC Joshua Gresham

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4 réactions

  1. Je partage vos sentiments. Moi aussi, un père Asperger, un frère autiste sévère et un fils qui présente de légers troubles sur le spectre autistique. Difficile de trouver sa place, de comprendre. La même étiquette est posée sur leur troubles alors qu’ils sont différents et que les problèmes ne sont pas de la même nature. Ce qui demeure est que l’entourage doit porter beaucoup sur ses épaules pour s’adapter a ceux qu’ils aiment et qui eux ont justement tant de mal à s’adapter. Le chemin sera long avant de trouver des réponses adaptées à l’autisme.

  2. Bonjour,
    J’ai 27ans, voilà 11ans que je parle plus a mon père autiste asperger.
    Il n’a pas été diagnostiqué, car il est persuadé de tout savoir.
    Il est exactement comme décrit sur votre récit..
    J’ai un frère qui a été diagnostiqué il y a 3ans autiste asperger, il a maintenant 24ans et nous sommes assez proches.
    Je suis la seule de la famille a bien le comprendre et on s’entend bien malgré no querelle parfois.
    Je ne sais pas comment mis prendre avec mon père… j’aimerais me réconcilier, mais je sais pertinemment qu’il va continuer a me reprocher énormément de chose.
    Au final, j’ai peur qu’il soit le poison que j’ai quitté quand j’avais 16ans…
    Pourtant je suis sur qu’au fond de lui il n’y peu rien…. je cherche des conseils a prendre avec ceux qui on cette expérience la.

  3. Bonjour,
    Bravo pour ce témoignage et merci.
    Mon père a d’important troubles autistiques et dû à son éducation n’a aucune curiosité, n’y facilité d’apprentissage et ne comprend que rarement les choses expliqué. Ne croit personne et ne montre aucune affection. Les biens matériel sont les seuls important. Il vit globalement dans sa bulle, avec sa façon de ranger, de voir, de croire.
    Bien que maintenant étant une adulte de 37 ans et hypersensible ma relation avec mon père, n’a aucun des aspect positif qui peuvent être décrit dans cet ce témoignage.
    Pour moi cela est une vraie souffrance d’avoir un père « présent » physiquement mais pas du tout présent autrement.
    Cela a encore des conséquences même maintenant. Et je « travail » à toi accepter et ne pas couper les ponds de manière définitive avec lui.
    Mais ce qui me fais du bien c’est que je sais que lui est heureux à sa manière. À moi de l’être aussi.

  4. Merci Sarah,

    Mon fils est autiste asperger comme ton père et je me fais du soucis pour mes petits enfants.
    Ma petite fille a bientôt 13 ans et est tout le temps en conflit avec son père, elle n’a pas ta bienveillance vis à vis de lui.
    Ton témoignage me rassure un peu…
    Bravo d’avoir si bien décrit ton père… Il me semble entendre parler de mon fils.
    Je te souhaite une belle vie
    Bien cordialement.
    Violaine

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