Désorientée, trop vite orientée
« Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? » C’est ce que je me disais il y a quatre ans, et c’est ce que je me répétais ce matin en discutant avec une jeune étudiante tout aussi déboussolée. Il y a quatre ans, j’avais 18 ans. Je venais d’avoir mon bac et ça faisait plus de trois ans qu’on me tannait pour « choisir une voie professionnelle ». Et cette année de terminale avait été le point culminant pour répondre à cette question.
En plus de la pression du lycée, des parents et celle que nous nous infligions pour acquérir ce diplôme indispensable à notre futur, (et si j’avais le malheur de demander : « Indispensable à quoi ? », on me répondait vaguement « C’est important pour ton avenir »), en plus de tout donc, la direction à donner à ce futur incertain de l’après-bac était au centre de toutes les préoccupations.
« Et toi tu feras quoi après ? » ; « Moi mes parents veulent me mettre en prépa, ils pensent que je vais glander à la fac. » ; « Moi je sais pas trop, y’a rien qui me tente trop. J’pense que j’irais à la fac, sûrement en philo, j’m’en sors pas mal en philo. » ; « Moi c’est polytechnique enfin si j’y rentre, le concours d’entrée me fait flipper, et puis faut déjà avoir son bac. » ; « Moi j’en ai marre des cours, je veux bosser, alors un BTS ou un CAP »…
A 18 ans, je pensais au chômage
Moi, j’étais en bac littéraire option théâtre, et déjà à 18 ans, on m’avait rentré dans le crâne que « c’est pas avec des études en théâtre que je pourrais faire ma vie ». Que des études littéraires menaient difficilement à un travail. Que je n’étais sûrement pas assez talentueuse et qu’il était plus sûr de garder ce domaine pour mes loisirs. Ma vie était sur les planches et l’on me faisait descendre de mon piédestal en brandissant la menace d’un futur sombre empli des nuages tempétueux du chômage et de la galère.
Oui, à 18 ans, je pensais au chômage. Je me suis fait une raison : si ce n’était pas ma passion pour le théâtre qui allait me faire vivre, ce sera celle du voyage. Une licence LEA (langues étrangères appliquées) anglais-japonais, une filière assez économique pour entrer en entreprise et qui me permettrait de m’approcher d’un pays qui me plaisait beaucoup. Oui mais voilà, je suis une littéraire, pure et dure, j’aime les textes, la beauté des mots et leurs forces.
Ne pas savoir pourquoi on est là
La première année étant une remise à niveau en japonais et en civilisation fût une année magique bien que tronquée d’un semestre par des gréves et des manifestations. La seconde rentrait dans le vif du sujet. Mais avec mon retard d’un semestre et mon désintérêt total pour l’économie, je me suis mise à sombrer : qu’est-ce que je faisais là moi qui avait toujours surnagée sans effort durant mes études ? Je sombrais. Angoisse, fatigue, déprime.
Aller en cours devenait une souffrance. Sortir de ma chambre même me faisait me sentir en danger. Qu’est-ce que je faisais là ? Qu’est-ce que j’allais faire de ma vie ? J’ai difficilement terminé l’année et, pour me remettre, j’ai décidé d’arrêter mon cursus, de faire une pause. Oui mais voilà, la déprime était toujours présente, la culpabilité de ne rien faire aussi. Je n’ai pas résisté. Indépendante depuis déjà deux ans, je n’ai pas pu rester plus de deux mois chez mes parents, j’ai difficilement trouvé un appartement et la galère des petits boulots est arrivée.
Retour à la case études
Que dire de ces deux années de galère si ce n’est que les seuls moments où j’allais mieux c’est quand j’avais un but. Le premier fût de faire un SVE (Service Volontaire Européen). En attendant de trouver, j’ai d’abord décroché un service civique : six mois d’une super expérience, trop courte et pas assez valorisée. Puis, comme le temps filait sans SVE en vue, j’ai fait une croix dessus, et j’ai repris les études. La culpabilité et la pression familiale des derniers mois m’ont fait ré-intégrer un cursus universitaire.
La différence c’est qu’aujourd’hui je suis plus mature, plus à même de savoir que ce qui me plaît ou pas. A la fac, je suis avec des « jeunes » de 17/18 ans. Certes, je vis difficilement ce que j’appellerais mon « retard » mais j’appréhende plus facilement des notions qui sont pour eux plus que floues. J’apprécie la chance d’être une étudiante, même si les galères et les écueils sont multiples. Je sais la chance de me lever en ayant un but et en faisant quelque chose qui me remplit la tête et pas seulement le ventre comme un « travail alimentaire ».
Prendre le temps… de choisir, de vivre
Nombre d’étudiants ont, comme moi, un jour abandonné leur cursus, ont connu les mêmes difficultés à choisir une orientation après le bac, l’angoisse de ne pas choisir quelque chose qui leur plaira, de perdre du temps. Et pourtant, ailleurs, chez nos voisins européens, les étudiants, après l’équivalent du bac, ont le droit de prendre leur temps : les Allemands ont un service civique très développé, les Anglais ont la traditionnelle année sabbatique pour voyager et découvrir la vie, ou encore les Espagnols ont les Volontariats à l’étranger qui sont très développés. Pas de précipitations donc, mais des expériences qui permettent à ces jeunes Européens d’évoluer et de faire leur choix plus sereinement. Et surtout pas de culpabilisation pour tous ceux qui ne trouvent pas tout de suite leurs places, qui se sont mal orientés ou qui ne supportent plus un système ne leur laissant pas le temps de vivre, tout simplement.
Mirage, 22 ans, étudiante en licence de sciences du langage, Grenoble
Crédit Photo CC Michele Ursino // Flickr