Professeur des écoles, on ne m’a pas préparée à expliquer un attentat
Je me souviens encore de nos professeurs de lycée au lendemain des attentats de Charlie Hebdo en 2015. Les larmes aux yeux, mon prof de philo lui-même ne parvenait pas à poser des mots sur une telle barbarie. Il avait tenté de répondre au mieux à nos questionnements. Vendredi 16 octobre, veille de vacances scolaires, un attentat attaque la société toute entière, et plus particulièrement la liberté d’expression. À peine un mois que je suis professeur des écoles, et me voilà déjà confrontée à une situation grave où je me dois de jouer un rôle.
Je suis stagiaire à mi-temps. Je passe les trois premiers jours de la semaine à la fac et le reste à l’école. Pour les CM1/CM2 je suis « la maîtresse du jeudi ». Mais moi, comment suis-je censée m’y prendre pour aborder cet attentat avec des élèves de 10 ou 11 ans ? Au cours de l’année, je vais être amenée à développer diverses questions en éducation morale et civique (EMC). Les instructions officielles balisent ce qui doit être abordé avec les élèves : le respect, les valeurs de la République et la culture civique. À l’école élémentaire, les élèves développent une culture de la règle et du droit, de la sensibilité, du jugement ou encore de l’engagement.
Certes. Mais pour aborder cet attentat qui porte atteintes aux valeurs de la République et à ma profession, ces instructions ne suffisent plus pour me guider. Quand un événement d’une telle violence survient, que dois-je faire face à mes élèves ? Comment aborder cette question si délicate ? Et surtout, comment employer les bons mots ?
Il y a un fossé entre ma formation et la pratique sur le terrain
J’ai eu quelques cours concernant l’EMC, des pistes pour faire acquérir ces valeurs au sein de l’école. On peut partir d’un texte de mythologie pour en venir à des questions plus actuelles qui parlent aux élèves : « faut-il toujours obéir ? », « qu’est-ce que la tolérance ? », « comment m’engager au sein de l’école ? » Le but est qu’ils deviennent peu à peu des citoyens. Le bâton de parole est un outil intéressant. On réfléchit ensemble sur le respect de la parole de l’autre : comment débattre, comment rebondir sur le propos d’un camarade.
Mais suis-je vraiment légitime face à ces élèves ? Il existe un fossé entre la formation universitaire et la pratique sur le terrain. J’ai énormément appris durant ma licence, mais surtout de la théorie. En master 1, j’ai consacré mes journées (et mes nuits) à préparer mon concours. Une grosse sélection, seulement 20 % de réussite dans mon académie. Et durant tout ce temps, bien que plongée dans l’univers de l’éducation, j’étais assez loin de m’imaginer comment se passe concrètement une année scolaire aux côtés de tous ces petits êtres.
« S’il y a parfois des failles dans les réponses pédagogiques, c’est qu’il y a des failles dans la formation des enseignants. » Sébastien Ledoux a enquêté sur ces problématiques et décortique les enjeux de la rentrée dans Le Monde. Car expliquer un attentat, ça s’apprend.
Pour passer l’épreuve de la rentrée du 2 novembre, l’historien Sébastien Ledoux appelle à miser sur le « collectif » des professeurs pour que la minute de silence fasse sens. https://t.co/70zXJK0YAg
— Le Monde (@lemondefr) October 28, 2020
Mes deux stages dans l’année, courts et sans responsabilité, ne m’ont pas permis de me mettre suffisamment en condition. En M1, durant le premier semestre, j’étais tous les vendredis dans une classe de maternelle. Seulement, j’étais dans une posture d’observation, et avec une autre étudiante. J’avais une semaine pour préparer une séance à mener. En cas d’imprévu, la titulaire était là, et je le savais. Même protocole pour mon stage de deux semaines avec des cycles 3 (CM1-CM2) au sein d’une école classée REP+. La responsabilité d’une classe, la planification d’une journée complète, la communication au sein d’une équipe, avec les parents, la gestion du temps entre midi et deux, la différenciation dans les apprentissages, l’évaluation, difficile de mettre tout ça en œuvre avant d’avoir notre propre classe.
Pas de recette miracle, le métier d’enseignant s’apprend en essayant
Et maintenant, je ne suis plus sur les bancs d’un amphithéâtre. Il n’y a pas de recette miracle, selon nos formateurs. Le métier d’enseignant s’apprend en essayant, avec un recul réflexif constant sur sa pratique. Cette année, je suis suivie par deux tutrices. Avec l’inspecteur, ils décideront de ma titularisation en fin d’année. L’une d’elles est également professeur des écoles. Elle m’aide à développer ma posture d’enseignante à travers les gestes, la voix, les micro-gestes professionnels. En revanche, je n’ai pas eu l’occasion de parler avec elle de ma prise de parole à la rentrée concernant l’attentat. J’ai entendu parler d’une minute de silence, de la lecture d’un texte de Jean Jaurès. Nous en saurons certainement davantage dans les prochains jours…
Avant les vacances, nous avons fait l’exercice de l’attentat-intrusion. La directrice déclenche l’alarme. Les élèves se cachent. Pas un bruit. Silence total. Je ferme les volets, la porte à clé, j’éteins les lumières et me cache aussi. Ça a été l’occasion d’expliquer aux élèves pourquoi il est important de prendre au sérieux cet exercice, et de les mettre en condition. Peut-être est-il possible de faire un lien avec l’attentat qui vient de viser un professeur ? En mettant en place le dispositif du bâton de parole par exemple. Je me souviens que les élèves ont été très impliqués lors de cet exercice, l’alarme stridente les a marqués. Il me reste encore quelques jours de vacances pour poursuivre ma réflexion, sans oublier que la cohésion d’équipe est très importante dans ces moments-là.
Pour Nicolas, enseigner est devenu très compliqué, surtout parce que la profession n’est plus respectée.
Être professeur des écoles, c’est aussi savoir s’adapter. La crise sanitaire a mis en avant cette capacité des enseignants à rebondir, à communiquer. Je vais donc faire de mon mieux pour être à l’écoute de mes élèves et répondre à leurs questionnements. Leur donner envie d’aller à l’école est très important pour moi, je souhaite leur faire comprendre que l’école est un lieu où l’on s’enrichit mutuellement.
Laure, 21 ans, professeur des écoles, Dijon
Crédit photo Unsplash // CC Taylor Wilcox