Sophie H. 14/09/2020

Rentrée 2020 : j’ai dû ajouter les masques au programme

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Depuis la rentrée, j'enseigne masquée au lycée. Les règles sanitaires impactent les conditions d'enseignement, notre moral et celui des élèves.

Cette année, dans mon grand lycée, nous n’avons pas été accueillis à l’amphithéâtre comme habituellement, mais dans le gymnase avec des chaises à un mètre les unes des autres. Cette année, en tant que prof, j’ai eu droit à ma première rentrée masquée.

Des mesures ont été prises durant l’été. Des distributeurs de gel hydroalcoolique sont à disposition un peu partout dans les couloirs. Les micro-ondes, bouilloires et autres matériels à usage collectif ont été confisqués. Dès notre arrivée on nous a distribué un flacon de gel hydroalcoolique et un set de masques. Tous les écrans des imprimantes et les claviers d’ordinateur sont sous plastique. Des lavettes sont à disposition avec du virucide dans chaque salle pour nettoyer les surfaces entre les heures de cours. On nous a demandé d’aérer les salles de classe entre chaque cours (ce qui, d’ordinaire, est déjà une habitude) et, surtout, d’être vigilants avec les élèves. C’est notre quotidien à présent, mais c’est très particulier de regarder du haut des escaliers à l’interclasse une marée d’élèves qui descendent tous masqués. Ou de savoir que tout contact avec nos collègues et élèves peut nous être fatal.

C’est ainsi que ma rentrée a commencé : dans le flou, dans le doute, un peu dans l’inquiétude aussi. Je n’ai pas particulièrement peur de contracter le Covid dans le cadre de mon travail : même si les classes sont surchargées (trente-six élèves), je suis rarement en contact rapproché avec eux. Je n’ai aucune raison de les toucher et nous ne faisons que nous parler avec des masques. La seule fois où je pourrais être proche d’eux physiquement serait s’ils me demandent de l’aide pendant un exercice individuel ou si je m’approche car je n’entends pas ce qu’ils me disent. 

Ils se ressemblaient de manière flagrante avec leurs masques

Je n’ai pas peur mais je m’inquiète pour l’avenir de l’enseignement, si à présent les cours avec le masque deviennent la norme. Étant professeur de langues, je suis obligée de toujours communiquer avec les élèves. Le cours se passe avec la parole et l’écoute. Or, le masque étouffe énormément de sons. Dans de grandes salles à trente-six, je ne peux pas être partout à la fois et j’ai beaucoup de mal à entendre les élèves. Si je peux comprendre en français, dans une langue comme l’anglais je peine puisque j’ai tendance à m’aider en lisant sur les lèvres. 

Certains élèves ne sont pas à l’aise avec une langue qu’ils ne maîtrisent pas toujours, se montrent hésitants ou, de base, parlent déjà tout doucement. Avec le masque, c’est quasi impossible de les entendre ou de les comprendre. Je leur fais répéter énormément de fois et je me retrouve très gênée d’autant leur demander ou de mal comprendre, parce que je ne veux pas qu’ils se sentent stigmatisés que je ne les comprenne pas. Ce qui, au bout d’un moment, finit par casser le moral.

A l’université, la rentrée 2020 sous Covid perturbe également la tenue des cours. Cours à distance, diminution des effectifs… une professeure raconte au HuffPost en quoi le coronavirus accentue les problèmes de la fac :

J’ai énormément de mal à retenir les prénoms des élèves ou tout simplement à me faire une idée de leur visage. Qu’est-ce qui ressemble plus à un adolescent de 16 ans qu’un autre adolescent de 16 ans ? Moi qui suis très physionomiste, je me retrouve bien embêtée face à cette marée de visages masqués ; sans compter le nombre d’élèves qui ont le même prénom dans les classes (j’ai par exemple onze Enzo répartis sur six classes et je les confonds énormément). L’autre jour, j’avais cours avec une classe de secondes et à l’heure suivante avec des terminales. Je vois un élève déjà vu à l’heure précédente et me demande : pourquoi donc revient-il faire cours avec une classe qui n’est pas la sienne ? Il m’a fallu un moment avant de comprendre que c’était un autre élève…

Les élèves comprennent que la situation est compliquée pour nous comme pour eux

Comme je peine énormément à les entendre, ça crée des situations cocasses. Alors qu’une élève me parlait, je n’arrivais pas à saisir du tout ce qu’elle me disait. Elle avait pourtant répété quatre fois déjà et, étant beaucoup trop gênée pour demander une cinquième fois, j’ai « inventé » ce qu’elle avait dit en fonction de ce que j’entendais, ce qui n’avait rien à voir. Toute la classe a rigolé, moi aussi, je me suis sentie très bête. Mais les élèves comprennent que la situation est compliquée pour nous comme pour eux.

Je suis aussi souvent amenée à faire respecter le port du masque auprès de mes élèves. Ça les agace, mais ils savent pourquoi je me dois de le faire et s’y conforment. J’ai déjà eu plusieurs malaises à cause du masque et il m’arrive de laisser sortir l’élève un moment dans le couloir afin qu’il puisse respirer. Mais étant dans un département où le port du masque est obligatoire en permanence, les élèves doivent même garder le masque dans la cour de récréation. Et, depuis quelques jours, de nouveaux agents ont été positionnés dans les points clés de l’établissement afin de faire respecter ces règles. Je ne sais même pas qui les a affectés : je sais juste qu’ils ont un uniforme avec le logo de la région et réprimandent toute personne ne portant pas son masque. 

Notre lycée va demander des masques transparents au niveau des lèvres afin de faciliter la communication en cours de langue, et aussi et surtout pour les élèves qui sont malentendants/sourds. Mais nous ne savons pas si cela sera possible, sans doute pour des raisons budgétaires. 

En cette rentrée 2020, le flou concernant l’avenir est le plus dur à encaisser

On ne sait pas comment va évoluer la situation, si l’on finira confinés, si le lycée devra fermer s’il y a plusieurs cas. Et je pense que le flou concernant l’avenir est le plus dur à encaisser, pour les élèves et pour les professeurs. La procédure en cas de cas positifs reste assez floue aussi. Il nous a été dit que les cas de Covid étant des informations médicales, elles se doivent de rester entièrement confidentielles et de ne pas fuiter. Il ne faut alerter que l’infirmière scolaire et les chefs d’établissements si un parent nous informe que son enfant est positif. Ça m’a fait tiquer car ça veut dire que ni l’équipe pédagogique d’enseignants, ni les élèves de la classe ne peuvent être informés qu’ils ont côtoyé quelqu’un de positif. 

La rentrée 2020 s’annonce tout aussi incertaine pour Pauline. Le coronavirus a bousculé ses plans de carrière, alors même qu’elle démarrait tout juste sa vie professionnelle.

Mais, dans les faits, nous communiquons entre nous, dans les couloirs ou en salle des profs. Et certains ne se gênent pas pour distiller ces informations au vu et au su des élèves environnants. C’est vrai que ça me gênerait de ne pas savoir si j’ai un élève présentant le Covid… Mais en même temps je ne sais pas si c’est judicieux que ça circule ainsi en bruit de couloir de manière décomplexée.

C’est assez dur de faire son orientation pour les élèves en prenant compte de ce nouveau facteur Covid. Je les sens beaucoup plus calmes cette année, beaucoup moins agités. Ils semblent avoir mûri d’un coup, ou sont angoissés entre la réforme du bac et l’idée d’un nouveau confinement. 

C’est aussi compliqué pour nous, professeurs, qui commençons nos cours et nos progressions sans savoir si nous allons avoir à les faire en ligne plus tard ou pas. Et cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes  pourrait interrompre complètement notre quotidien.

 

Sophie, 23 ans, enseignante, Île-de-France

Crédit photo Hans Lucas // © Adrien Nowak (Série photo : Rentrée scolaire de l’enseignement agricole – Toulouse Auzeville 2020)

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