Yasmine M. 03/06/2020

Justice pour Adama : prendre la rue était mon devoir

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Malgré la crise sanitaire, Yasmine est allée manifester pour la première fois, aux côtés du comité Adama. Parce que elle n'en peut plus de voir la liste des victimes de violences policières s'allonger.

Le 2 juin 2020, j’ai vécu ma première manifestation. Le contexte était particulier puisque nous sommes en pleine crise internationale du Covid-19, que 29 000 personnes en sont mortes en France, et que de ce fait ce rassemblement était interdit. Hier, le 2 juin 2020, j’ai risqué ma vie contre les violences policières, pour la justice, pour Adama Traoré, Zyed Benna, Bouna Traoré, Babacar Gueye, Gaye Camara, Shaoyo Liu, Amine Bentousi, Mamadou Marega, Ali Ziri, Wissam El Yamni, Zineb Rendouane, Selom & Matisse, Ibrahima Bah et tous les autres.

Nous sortons de deux mois et demi de confinement. Pour une grande partie des Français.e.s, cette période exceptionnelle était synonyme de « pause », de « moment pour se ressourcer », une occasion de se mettre à la cuisine avec Cyril Lignac, à la peinture, au piano et j’en passe. Avoir eu la possibilité de romantiser le confinement est un privilège. Mais pour d’autres, pour moi, ce confinement était synonyme de lumière. Lumière sur les inégalités, lumière sur la précarité et les injustices. Lumière sur le racisme et les violences policières.

Tout le monde semblait penser que la France était sur « stop » mais moi, quasi tous les jours par ma fenêtre, je continuais d’être témoin de confrontations entre les jeunes de mon quartier et la police, et de violences policières. Un jour, l’un des jeunes dont j’étais l’animatrice au Club Ados de ma ville s’est fait violenter et ensanglanter par la police alors qu’il revenait simplement de ses courses. Il a fini à l’hôpital avec des points de sutures derrière l’oreille. Tout cela résonnait avec les vidéos de violences policières d’autres quartiers populaires que je voyais affluer en abondance sur les réseaux sociaux.

Combattre un virus mortel, celui du racisme

Toute cette frustration ne pouvait être exprimée par des manifestations et des rassemblements. Du coup, comme beaucoup de jeunes j’ai choisi d’écrire. J’ai tweeté pour dénoncer, partagé des informations, signé des pétitions et fait des donations. Par ces temps, ce fut notre seul outil de militantisme ! Oui mais voilà, écrire, tweeter, poster, c’est très bien, mais à force on finit par ne plus en comprendre le sens. On finit par se sentir seule et on ressent le besoin de faire plus.

Alors, lorsqu’Assa Traoré a appelé au rassemblement, je n’ai pas hésité. Je ne pensais plus au virus, à mon anxiété ou encore à mon syndrome de la cabane, je me devais d’y être. Hier, 2 juin 2020, au milieu de cette foule, je n’étais plus seule face à mon écran mais solidaire et main dans la main avec plus de 80 000 personnes face à l’oppression.

Lorsqu’Assa Traoré, qui se bat depuis quatre ans pour obtenir la justice pour son frère Adama assassiné par la police, a pris la parole, j’ai encore une fois été bouleversée par sa force. Ma présence en ces lieux a pris encore plus de sens. J’étais là pour combattre un virus mortel, dévastateur, celui du racisme et de l’injustice. J’étais là parce que des personnes sont violentées et meurent dans le monde entier pour la simple raison d’être Noir·e et je suis fatiguée de voir la liste des victimes s’allonger. Je suis fatiguée de voir mes semblables mourir. Ce sont toutes ces raisons qui m’ont poussée à sortir dans la rue hier.

Risquer sa vie au rassemblement, en plein Covid c’est révélateur

Je trouve ça incroyable qu’on ait dû en arriver à risquer notre vie en pleine crise sanitaire pour ce droit fondamental qu’est la justice, mais je suis fière. Fière car nous avons montré à la France que nous aussi, habitant·es des quartiers populaires, minorités visibles, jeunesses françaises, nous sommes prêt·es à prendre les rues, tout comme les Gilets Jaunes ont pu le faire, que nous ne nous tairons plus et qu’ensemble nous ferons bloc.

« Débordements », « affrontements », « violences », « émeutes raciales », « irresponsables » sont les termes qui ont été retenus par les grands médias français, quand bien même les centaines de vidéos qui défilent sur les réseaux sociaux prouvent le contraire. Voir le décalage entre ce que j’ai vu et ressenti pendant ce rassemblement et le traitement médiatique reçu m’a donné l’impression que nos intentions avaient été salies. Ce que je retiens de cette soirée du 2 juin 2020, c’est la fraternité, la solidarité, l’engagement, le pacifisme, la colère, l’amour, la force et la lueur d’espoir que j’ai pu percevoir dans les regards de mes sœurs et frères qui m’entouraient.

J’aurais aimé pouvoir rester chez moi hier ou pouvoir profiter des 30 degrés en terrasse, mais je n’ai pas eu ce privilège. Prendre la rue hier, c’était mon devoir. On finira par trouver un vaccin pour le Covid-19, mais qu’en est-il pour les injustices et le racisme ?

« Un pays sans justice est un pays qui appelle à la révolte » – Assa Traoré

#JusticePourAdama

Yasmine, 23 ans, étudiante, Chanteloup-les-Vignes

Crédit photo : Anas Daif, @jnounaliste et @alintersection

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