Mes petits frères du tiek : vous êtes en mission
De base, je suis quelqu’un de timide et réservé. Il m’a fallu pas mal de temps pour oser demander un renseignement à un passant dans la rue, et plus jeune, même mes amis trouvaient que j’étais trop silencieux. J’aime tourner en dérision ma dégaine de mec sans dégaine, je surenchéris souvent quand mes potes me charrient. J’ai tantôt trop peu d’estime de moi, tantôt trop, et il est possible que cette entrée en matière ne soit elle-même que fausse modestie. En résumé, je n’ai pas le profil du leader charismatique qui distille des sagesses du haut de sa contemplation. Pourtant, depuis une décennie, je me sens en mission. C’est cette mission qui m’amène aujourd’hui à écrire à mes petits frères.
J’aimerais que tu contemples ta rue et ses alentours du rebord de ta fenêtre. Que tu prennes le temps de balader ton regard sur ce quartier où tu as grandi, sur ce bitume où tu es tombé, ces murs, que tu maintiens debout jusque tard le soir avec ton équipe. J’aimerais que tu prennes du recul sur cette bulle si particulière, sur ces longues journées passées à charrier et à chahuter, sur tes potes plus ou moins clean, plus ou moins respectables, sur ces histoires de gros sous et de placard que l’on raconte avec le cœur qui bat, comme on contait autrefois d’anciennes légendes guerrières au coin du feu. J’aimerais que tu te poses pour prendre de la hauteur sur ce tableau que tu aimes et que tu détestes, que beaucoup voudraient fuir de crainte d’y rester. Que ton esprit s’envole au-dessus de ces milliers de vie. Que tu fermes les yeux. Et que tu écoutes.
Faites honneur aux sacrifices des parents
Petit Frère, tu es en mission. A peine étais-tu arrivé dans ce monde, que déjà tu portais sur tes épaules le poids de l’Histoire, sans le savoir. Des histoires que tu écoutes avec distraction lorsque le Padre te parle du village, du long périple qui l’amena jusqu’ici, bientôt suivi de la Mama. Celle-ci complète son récit par des anecdotes pleines de noms que tu entends depuis tout petit sans parvenir à y fixer des visages. Leur vie est tellement différente de la tienne. Et pourtant, de leur bled jusqu’au tien, il y a un parcours fait d’humilité, de courage, de sacrifices et de patience, auquel il te faut faire honneur. Ta mission commence par la fierté. Tu ne dois jamais, ô grand jamais avoir honte de leur étrangeté, de la couleur de leur peau, ou de leur accent. L’école de la vie où ils ont étudié leur a enseigné plus de sagesse que tout notre système scolaire ne pourra jamais t’en donner. Petit Frère, réalises-tu que tes parents sont des héros ?
Ce que je vois par ma fenêtre est tellement triste. A chaque barrette vendue dans l’entrée, à chaque scooter volé, à chaque braquage, à chaque petit qui décroche, c’est comme si on vomissait sur la vie de nos parents. Même si c’est complexe, c’est d’abord à cause de nous que beaucoup de gens nous perçoivent comme des sauvages. Que nos parents bien-aimés soient associés à ces insultes par notre faute, ça me fait mal, et ça me révolte. Petit Frère, réponds-moi franchement : est-ce pour voir le nom de son fils dans les faits divers que ton père s’est levé à 3h du matin pendant 40 ans ?
Du quartier, changez la France
On est d’accord, tout n’est pas à jeter ici, bien au contraire. Tu connais les ambiances où ça réunit les pièces rouges pour acheter un paquet de gâteaux premier prix que l’on partage à dix ; les barres de rires à n’en plus finir quand on se raconte les anecdotes insolites des uns et des autres ; les sorties d’école où les mamans des quatre coins du monde tapent la discut’ en attendant leurs enfants ; le partage, la solidarité, le respect. Tu es peut-être en bas de l’échelle, mais tes principes et ton expérience de vie sont une richesse d’une valeur inestimable, qui peut profiter à toute la société. Oui, toi le « jeune de quartier » que l’on méprise souvent, qu’on suit dans les rayons des magasins, que l’on contrôle, que l’on insulte, que l’on tue ; toi, tu as des choses à apprendre aux autres. Te rends-tu compte ?
Petit Frère, ta mission est universelle. Demain, l’histoire commencée il y a plusieurs siècles dans la violence de la colonisation s’achèvera peut-être dans la douleur. Tu le sens, le vent tourne et semble nous pousser vers la sortie. La fin de l’Histoire, c’est toi qui l’écris. Sois tu laisses les choses se faire et les tensions identitaires achèveront de nous diviser. Sois tu te lèves pour montrer l’exemple et appeler à la Paix. La Paix entre les quartiers et le reste, entre les Noirs, les Arabes, les Blancs, entre tous. Il te faudra beaucoup de patience et d’énergie. De la sueur, des larmes, du sang parfois. Tout commence sur le rebord de ta fenêtre, sous lequel se déroule ton univers. Les blocs, les quads, les commerces, les mamas, la police, le city-stade, les fautes sur les murs, les étoiles déchues. Je sais, ce décor est tellement éloigné de tout ce que je te raconte depuis tout à l’heure. Mais s’il te plaît, prends le temps d’y réfléchir avant de retourner en bas. Médite sur ces mots, et quand tout cela aura mûri dans ton esprit, passe le message à tes gars. Il est temps de sortir de ces caricatures qui nous enferment. Pour tes parents. Pour tes aînés. Pour toi.
Et pour tous les Petits Frères, qui ne grandiront pas.
Hakim, 24 ans, blogueur et ambassadeur d’Unis-Cité, Grande-Synthe
Crédit photo Hakim
Comment faire pour que cette forme de Bonheur puisse etre PARTAGEE par beaucoup,pour accueillir les nouvelles générations et les préparer à vivre en harmonie ……
Très beau texte rempli de vérités bien difficiles à admettre… la route est longue et parsemée d’embûches. Les clichés ont la vie dure… bon courage . Sincèrement et avec admiration .
Merci Camille pour ton empathie et tes encouragements ! 😀
Ton article est très émouvant, vraiment!! ça me fait penser à la chanson d’IAM, « Petit frêre ». 🙂
Elle me met les larmes aux yeux à chaque fois. Je ne viens pas des quartiers mais vraiment, j’ai MAL pour vous. Bonne continuation en tout cas Et c’est très bien écrit, bravo^^