Mon style, ma carte d’identité
Premier jour à l’école, je débarque avec ma jolie robe rouge et mes godasses blanches. Maman m’a dit d’être sage et de bien travailler. Alors je me mets dans un coin de la cour et j’observe les petits en attendant la sonnerie. Ah oui, j’oubliais : je suis une jolie petite fille africaine de 12 ans. Je venais de sortir d’une école nationale où l’uniforme était obligatoire. Mais ce jour-là, j’intégrais l’école française de Lomé alias LFL. Tu peux pas test’ ! C’était un choc de découvrir qu’ici on pouvait s’habiller comme on le voulait. Rouge, jaune, vert, Côte d’Ivoire, drapeau, c’est comme tu veux !
Ce jour-là, mes yeux se heurtent à des mariages de couleurs improbables sur de si petites personnes. D’un côté de la cour, un groupe de filles dans des camaïeux de couleurs pastels. De l’autre côté, des couleurs plus flamboyantes. Chaque vêtement était comme un passeport vers un groupe, vers un autre. Je me demandais à quel groupe j‘allais appartenir avec ma petite robe rouge. Une fois en classe, c’est là que tout le monde se mélange. Mais là encore, tout était segmenté. En réalité, nous n’étions pas si mélangés, je m’en rends compte aujourd’hui. Par exemple, plus un élève avait une bonne moyenne, plus son siège se rapprochait de la maîtresse. Une fois que la sonnerie retentit de nouveau, c’est parti pour la récréation.
Le temps que j’arrive (j’étais la dernière à sortir), la cour s’était remplie de toutes ces belles tenues et formait désormais un arc-en-ciel dont les couleurs s’entremêlaient sans jamais vraiment fusionner. Glissant les unes contre les autres, les couleurs se regroupaient pour façonner des formes géométriques extensibles plus ou moins grandes. C’était très beau. Une fois dans la cour, j’ai remarqué que les regards posés sur moi changeaient en fonction des groupes qui m’observaient. Ici et là, j’entendais « Elle vient d’où ? », « J’aime bien ses cheveux », « Tu penses qu’elle sera gentille ? », « Trop belle sa robe ».
Le style c’est aussi faire partie d’un groupe
Tout cela m’a donné de la confiance. Ceci dit, il fallait plus qu’une belle robe et une belle coiffure pour intégrer ces groupes et se faire des amis. Car chacun représentait une communauté solidaire et indépendante qui ne jalousait pas les autres. On l’intégrait en fonction de ses centres d’intérêt : les fans de foot, les collectionneurs de billes, les adeptes du handball. Mes camarades arrivaient à se lire les uns les autres en fonction de leurs manières de s’habiller. Pour moi, c’était comme un indice qui permettait aux autres enfants de venir ou pas vers moi. Les différents liens entre mes camarades étaient si bien établis qu’on en oublierait presque que les vêtements ont joué un rôle déterminant. Aujourd’hui encore, qu’on le veuille ou non, nos vêtements sont le reflet de notre personnalité.
Doris, 22 ans, étudiante, Paris
Crédit photo Youtube // © The Carters – Apes**T (Clip Video)