Max S. 09/12/2025

Mince comme mon téléphone

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Depuis que son téléphone a décrété qu'il était « gros », Max est hanté par la crainte de prendre du poids. Multipliant les méthodes pour se priver de nourriture, il inquiète son entourage et découvre alors un mot nouveau : « anorexie ».

J’ai 14 ans, je suis allongé sur mon lit superposé. Je cherche un moment de répit après l’école. De joie. J’ouvre mon téléphone, une application m’attire : TikTok. Les vidéos se mettent à défiler, elles me font rire. Soudain, une image se forme : un homme fin, aux cheveux de lin, dénigre son ancien corps. Il était gros, comme moi.

« Gros ». Je me qualifie ainsi depuis deux mois. Je me suis pesé et j’ai rentré ma taille dans une application : « en surpoids, de deux kilos ». Ces quelques lignes ont changé le rapport que j’avais avec mon corps : mon visage, mes jambes, mon ventre m’ont paru en un instant grossir, s’épaissir, n’être que rondeur, vulgaires, dénués de nuance, de beauté.

Lui, dans la vidéo, il est devenu maigre. La joie me prend. La joie, la joie de pouvoir devenir lui. Une idée surgit : « Arrête de manger. » Si je ne m’alimente plus, ma graisse s’envolera. Elle ne sera qu’un souvenir rattaché à une photographie de mon ancien corps, de mon ancienne apparence. Je deviendrai beau. Je ne cesse de voir, de regarder des vidéos m’apprenant à jeûner : des glaçons dans la bouche, mâcher à outrance pour ne plus avoir faim, sauter des repas… Je n’aperçois jamais des vidéos sensibilisant sur les dangers de l’extrême minceur. Seulement des corps fins, dansant sur la musique d’une chanteuse fine, elle aussi.

Toujours trop gros

Cette idée entre en moi. Me pénètre. Pénètre dans ma bouche qui ne mange plus. Le midi, je ne dépose sur mon plateau qu’un bout de pain, une entrée, de l’eau. Le soir, je décris à mes parents des plats dignes de festins : des viandes enrobées de sauce, des entrées faites de riz divers, des pains couvert de confiture… Je dis que je n’ai plus faim. Je ne mange qu’une mince portion. Le soir, je compare mon reflet à celui des influenceurs. Toujours trop gros. Je me blâme. « Pourquoi as-tu mangé ça, tu n’es pas déjà assez laid et épais ? » Je ne réponds rien. Je plante mes ongles dans la peau.

En quelques mois, je me transforme. Je ne suis plus que maigreur. Mon ventre, à force de crier famine, se crispe. Une légère douleur s’installe. Elle est toujours là. Ma tête est prise par un subtil mal de crâne. J’aime mon nouveau corps. M’admire devant mon miroir avec un sourire. Je suis devenu mince comme eux. Comme mon téléphone.

Cela fait six mois que je ne mange plus. Je fais quarante-neuf kilos pour 1m71, j’en faisais cinquante-six pour 1m68. L’infirmière de mon collège, voyant mon amaigrissement, me convoque dans son bureau. Ses yeux marrons ont la couleur de la pitié. Elle me parle, un nouveau mot s’abat sur moi : « anorexie ». Elle appelle mes parents. Je rentre le soir, les yeux de ma mère me regardent, me dévisagent, elle tord la bouche. Elle aussi, elle a pitié. Je remange. La peur de redevenir « gros » ne me quitte pas.

J’espère guérir, sans y croire

Je suis à présent au lycée, je fais cinquante-trois kilos pour 1m76. Je me prive toujours de nourriture. Moins : je ne saute plus de repas. Je mange uniquement des petites portions. Je ne sais si je serai un jour guéri. Je l’espère. Je n’y crois pas.

Cela fait un an que l’anorexie me dévore. Mon corps est un fossé, dominé par des montagnes osseuses, recouvert d’une peau peureuse.

Par Max, 15 ans, lycéen, Paris

Crédit Pexels

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